Louis Viannet : hommages et propositions de deux syndicalistes CGT et CFDT

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Par Joël Decaillon, vice-président du laboratoire Lasaire, ancien dirigeant de la CGT et de la Confédération européenne des syndicats (CES) et Pierre Héritier, président du laboratoire Lasaire et ex-membre de la commission exécutive de la CFDT et secrétaire général de la CFDT Rhône-Alpes.

Un vibrant hommage a été rendu en ce 26 octobre par 300 personnes au funérarium de Péage-de-Roussillon (© Pierre Nouvelle).

Un vibrant hommage a été rendu en ce 26 octobre par 300 personnes au funérarium de Péage-de-Roussillon (© Pierre Nouvelle/DR L’Humanité).

Plus de 300 personnes étaient réunies au funérarium de Péage-de-Roussillon pour participer à la cérémonie d’adieu à Louis Viannet. Parmi les participants, Bernard Thibault, qui lui a succédé à la tête de la CGT en compagnie de Maryse Dumas, et Philippe Martinez, actuel secrétaire général de cette confédération. Des responsables de l’Institut d’histoire sociale CGT (Jacky Maussion,  président national  et Roger Gay, président régional) étaient aussi présents, aux côtés de représentants régionaux du Parti communiste français (Raphaël Debu et André Gerin).

C’est le moment que deux syndicalistes, ex-numéros deux de la CGT et de la CFDT, ont choisi pour s’exprimer. Derrière leur témoignage sur Louis Viannet, ils livrent aussi leurs points de vue sur le syndicalisme du 21e siècle.

Louis Viannet : une bonhomie évidente qui illustrait une démarche d'ouverture pour aider au rassemblement dy syndicalisme (© Pierre Nouvelle/DR L'Humanité).

Louis Viannet : une bonhomie évidente qui illustrait une démarche d’ouverture pour aider au rassemblement du syndicalisme (© Pierre Nouvelle/DR L’Humanité).

L’ex-secrétaire général de la CGT, honoré ce jeudi 26 octobre dans la cité ouvrière du Péage-de-Roussillon (Isère) en présence de très nombreux amis et camarades, laisse le souvenir d’un responsable syndical et politique ouvert, apôtre d’un syndicalisme rassemblé qui a porté une parole libre soucieuse de l’évolution du salarié. Deux syndicalistes qui l’ont approché, l’un, Joël Decaillon, à la tête de la CGT, l’autre, Pierre Héritier, au sein du Forum syndical européen, apportent leur regard sur Louis Viannet

Le cheminot Joël Decaillon a été son bras droit à la direction de la CGT en charge des relations avec le mouvement ouvrier européen. Il donne son point de vue.

 » A son arrivée au poste de secrétaire général en 1992, l’accession de Louis est interprétée par beaucoup, à l’intérieur comme à l’extérieur de la CGT, comme une reprise en main de la confédération par un Parti Communiste affaibli. Au contraire, à son initiative, la CGT prend très vite ses distances, et décide, lors des élections législatives de 1993, de ne pas donner de consigne de vote. A l’intérieur, la CGT est habitée par le débat entre « modernistes » et « conservateurs », expression qui est à la fois un artefact journalistique trompeur et la transcription simpliste d’une confrontation « à géométrie très variable » des idées mais aussi des ambitions ou des nostalgies des individus et des clans qu’ils ont pu organiser autour d’eux.

Pour Joël Decaillon,vice-président du la boratoire Lasaire et membre du Forum social européen il ne faut pas céder à la simplicité et au schémqtiqme quand on parle de la CGT (© Pierre Nouvelle).

Pour Joël Decaillon,vice-président du laboratoire Lasaire et membre du Forum social européen il ne faut pas céder à la simplicité et au schématisme quand on parle de la CGT (© Pierre Nouvelle).

Pour un syndicalisme rassemblé

Avec, ou en dépit de toutes ses difficultés, la CGT évolue. Louis Viannet, avec beaucoup d’intelligence, va s’efforcer de la mettre à l’heure européenne. Il s’applique également à normaliser et à dédramatiser les relations avec le patronat en acceptant de rencontrer Jean Gandois, patron du CNPF, l’ancêtre du Medef. Louis Viannet a été « l’homme de la situation » qui a permis à une CGT affaiblie de se ressourcer et de sortir de l’impasse.

Très attentif au pluralisme syndical, il va s’attacher à promouvoir, par-delà les divergences des centrales, l’idée de renouer les fils de l’unité du mouvement syndical sans laquelle il est totalement illusoire pour lui d’envisager la construction d’un mouvement social efficace : c’est l’acte de naissance de la stratégie du « syndicalisme rassemblé » réaffirmée par les congrès successifs de la CGT. Très sensible aux déserts syndicaux que sont le secteur privé, les PME, le secteur tertiaire, il a eu très tôt la lucidité et le courage d’affirmer : le syndiqué CGT est maintenant un « salarié à emploi quasi garanti et à statut dont les différents besoins diffèrent totalement de ceux des chômeurs, des précaires, et des exclus ».

La disparition de Louis Viannet, un réformateur de la CGT , est une perte pour le mouvement syndical mais aussi pour la société française dans son ensemble (© Pierre Nouvelle).

La disparition de Louis Viannet, un réformateur de la CGT, est une perte pour le mouvement syndical, mais aussi pour la société française dans son ensemble (© Pierre Nouvelle).

Mettre en œuvre un syndicalisme réaliste et de proposition

C’est aussi pourquoi Louis a le souci de rendre la confédération plus « réaliste » dans les démarches de négociations, avec la volonté de s’engager dans un syndicalisme de proposition qui, tout en contestant vigoureusement ce qui est contestable, ne souhaite pas s’enfermer dans la seule contestation. L’entrée de la CGT à la Confédération européenne des syndicats (CES), longuement préparée par Louis Viannet est accomplie en 1999 avec Bernard Thibault.

Elle est à la fois la marque du travail important de renouvellement conceptuel et de la pratique de l’organisation sur un terrain difficile qui constituait traditionnellement un lieu de clivage politique du mouvement syndical français. Elle est aussi la preuve de la reconnaissance de la valeur de la CGT par ses pairs du mouvement syndical européen, de l’apport que constitue sa combativité et du profond retentissement en Europe du mouvement de décembre 1995 dans lequel s’étaient particulièrement illustrés la CGT et celui que Louis a appelé de ses vœux pour lui succéder à la tête de la Confédération.

Tenir compte de l’évolution du salariat

Louis Viannet a posé la question de l'adaptation du syndicalisme au salariat et aux diffiucltés qu'il rencontre comme la question du chômage (© Pierre Nouvelle).

Louis Viannet a posé la question de l’adaptation du syndicalisme au salariat et aux difficultés qu’il rencontre dans un cadre européen, comme la question du chômage (© Pierre Nouvelle).

L’évolution du salariat rend encore plus nécessaire que la CGT accorde une place majeure à l’action territoriale, laquelle ne se résume pas, loin de là, à l’activité des instances territoriales. Le maître mot c’est la coordination, c’est-à-dire le travail en commun de fédérations qui se renforcent en s’inscrivant dans des champs d’intervention professionnelle plus larges, adaptés à chacune des réalités et des dynamiques territoriales.

Seul un tel redéploiement coordonné peut permettre de poser d’une autre manière la question de l’organisation de la défense des salariés de tout statut, d’imposer les « bons » lieux de négociations, de revoir la conception de l’organisation et du contenu des conventions collectives.

Dès 1995, Louis Viannet, dans un livre intitulé « Les défis du syndicalisme » évoquait « la nécessité de repenser et de bousculer nos pratiques, nos comportements et à coup sûr certaines de nos structures ».

Il ajoutait « Si nous ne prenons pas en compte l’impératif d’appréhender autrement la territorialité de l’implantation du salariat, avec la création de syndicats locaux, de site, de zone – peu importe le nom de baptême  – avec des formes nouvelles de coopération entre nos fédérations, nos syndicats nationaux, nos structures locales et départementales, le tout accompagné d’une refonte de nos conceptions d’intervention en direction des différentes catégories, je dis que si nous ne gagnons pas cette bataille, nous courons droit à la marginalisation ».

Une parole libre

L’attachement de Louis Viannet à son organisation ne s’est jamais démenti. C’est lui et lui seul qui l’a conduit à faire entendre sa voix au plus fort de la crise interne ouverte par le comportement et l’obstination de Thierry Le Paon. Cette intervention, à la fois courageuse et mesurée, lui aura valu des réactions hystériques de quelques caciques de la porte de Montreuil.

Au-delà du fait qu’elles n’honorent pas leurs auteurs, ces réactions qui assimilaient des paroles libres à des blasphèmes, étaient autant de symptômes de la profondeur de la crise, dont la CGT n’est pas sortie, tant son image a été atteinte et son potentiel de réflexion stratégique affaibli.

Renouer avec son audace stratégique
Le plus vibrant hommage que pourrait rendre la CGT à Louis Viannet, homme d’initiative et de liberté, serait de renouer positivement, profondément avec son audace stratégique. Le « syndicalisme rassemblé » ce n’est pas autre chose que d’être à la fois raisonnablement confiant dans sa propre approche des réalités sociales, et très attentif à la démarche des autres, d’être en permanence à l’affût de tout ce qui peut favoriser et nourrir le combat commun.

Pour être efficace, le mouvement syndical a besoin d’unité. Unis, nous pouvons gagner, divisés nous sommes toujours affaiblis. La recherche de l’unité des salariés et de leurs syndicats doit être permanente, l’unité n’est pas un détour tactique, elle est la condition irremplaçable pour que les salariés affirment toute leur place dans la société.

Une des prochaines questions posées à la CGT est celle de ses relations avec la CFDT qu'elle côtoie dans de nombreuses négociations et au sein de la Confédération européenne ds syndicats (© Pierre Nouvelle/DR L'Humanité).

Une des prochains défis posés à la CGT est celui de ses relations avec la CFDT qu’elle côtoie dans de nombreuses négociations et au sein de la Confédération européenne des syndicats, comme ici au congrès de Paris en 2015 (© Pierre Nouvelle).

Louis, avec la grande humilité dont il ne s’est jamais départi, nous a légué un précieux héritage. Nous devons le faire fructifier, sauf à nous condamner nous-mêmes au déclin et à l’insignifiance. Louis Viannet est et restera pour longtemps une référence essentielle pour qui souhaite sortir le mouvement syndical français des postures crispées et des impasses stratégiques dans lesquelles continuent à se complaire ou s’enfoncer ses différentes obédiences.

Aucune organisation syndicale ne peut prétendre aujourd’hui changer, seule, le cours des choses. Comme le disait souvent Louis, faut-il attendre d’être d’accord sur tout pour agir ensemble ?  »

Pierre Héritier : Louis Viannet : le syndicaliste qui rassemble

 

L'ex-numéro 2 de la CFDT a aussi côtoyé Louis Viannet au sein du Forum social européen (© Pierre Nouvelle).

L’ex-numéro 2 de la CFDT a aussi apprécié la personnalité de Louis Viannet au sein du Forum social européen (© Pierre Nouvelle).

Au soir de son décès, Pierre héritier a lui aussi évoqué la mémoire de celui qui fut pour lui un amis.  » Louis Viannet était un grand syndicaliste, un grand personnage, modeste, porteur d’une ambition collective forte. Un acteur qui avait le sens du long terme, qui savait placer l’intérêt de ceux qu’il représentait avant les intérêts d’une boutique. Il se souciait peu de son image et ne s’embarrassait jamais de questions protocolaires.

Il a tourné la page d’une histoire complexe, ouvert les portes et les fenêtres pour renouer avec le champ contractuel, l’Europe, le syndicalisme européen, les autres confédérations. En décembre 1995, alors que les braseros fumaient encore, il me confiera : « je veux rencontrer Nicole Notat parce qu’elle est la responsable légitime de la CFDT ». Le message était clair : certes j’ai renoué avec Force Ouvrière mais j’accorde autant d’importance – au moins autant – à la CFDT.

Les débats internes et idéologiques, les sympathies naissantes, les réticences internes ne pouvaient le détourner de cette démarche pragmatique tirée par le bon sens : « le syndicalisme rassemblé », là est la clé de l’efficacité. Plus tard il dira : « premier, deuxième, cela ne change rien… seule, une organisation est impuissante. Ensemble, les syndicats peuvent avoir du poids ».

Edmond maire, ancien secrétaire génarl de la CFDT misait sur une évolution de la CGT (© Pierre Nouvelle).

Edmond maire, ancien secrétaire général de la CFDT misait sur une évolution de la CGT qui aurait pu voir se mettre en œuvre un syndicalisme rassemblé (© Pierre Nouvelle).

Edmond Maire, disparu récemment, avait compris. Il aurait voulu appuyer cette démarche. Le destin a voulu que ces deux grands du syndicalisme ne se retrouvent jamais face à face. Malgré leurs différences, avec eux, le « syndicalisme rassemblé» serait devenu réalité.

Chacun d’eux a été mon ami. Louis a été le président du Forum syndical européen.

Dans nos réunions, sous son impulsion, j’ai trouvé une qualité et une intensité dans nos échanges. Un respect de chacun et de nos histoires différentes, un refus du déni de l’histoire, une vision, une hauteur de vue, un sens du compromis qui m’ont fait vivre de grands moments de démocratie.  »

 

 

 

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