Bagdad – Jérusalem : à la lisière de l’incendie

Posté le par dans Coup de coeur

Deux poètes, trois alphabets pour mieux se connaître… Ainsi pourrait-on définir la rencontre entre Salah Al Hamdani, poète irakien exilé à Paris, et Ronny Someck, poète israélien. Ils sont tous deux nés à Bagdad. Ils militent pour la paix dans un Proche-Orient où les peuples aspirent à la liberté, à la démocratie et à la paix. Michel Ménassé, lui-même poète et homme de dialogue, vient de les présenter dans le numéro n° 1000-1001 de la revue Europe, une revue littéraire internationale créée en 1923 par Romain Rolland.

Ouvrir l’accès au poème dans la langue de l’autre, jeter un pont par-dessus les frontières pour réactiver le difficile dialogue entre Arabes et Israéliens. Salah Al Hamdani, poète irakien exilé à Paris, et Ronny Someck, poète israélien, tous deux nés en 1951 à Bagdad, bravent les interdits pour ouvrir portes et fenêtres, parfois des brèches, dans les murs de la honte et les clôtures culturelles, puis partager fraternellement l’exil en héritage…

Contre les poètes autoproclamés

Salah Al Hamdani, « contourne / les milices de Dieu… » Combat sans concession contre les censeurs, contre les fossoyeurs de l’esprit, mais aussi contre soi-même : « ne laisse pas non plus d’autres / déraciner tes rêves / Somnole à ta guise / Et puisque le ciel ne peut rien / cesse de l’implorer. »

Salah Al Hamdani, après avoir « cloué les étoiles au néant » s’interroge lui-même dans une brève méditation agnostique : « Ne veux-tu pas reposer ton âme / et aux deux extrémités de cette terre  / abandonner les dieux à leurs affaires ? » D’un tercet lapidaire, il dénonce avec légèreté  la mort injuste qui frappe en aveugle : « La terre ne révèle son pénible fardeau / que lorsqu’elle heurte dans sa chute / le cercueil de l’innocent. » N’oubliant jamais Bagdad, Salah Al Hamdani allie la concision à la justesse métaphorique : « L’horizon ne sera jamais orphelin / tant que des yeux le chercheront / avec ma nostalgie. »

 Humour et nostalgie

Ronny Someck combine l’absurde et le réalisme merveilleux : « Les poètes accrochent leurs vers aux pages d’automne. / Les mots se contentent de peu, / ils flottent au vent, donnent des coups de pied / au soleil qui dépose ses rayons sur des camions d’ombre / juste avant de disparaître. // Un arbre suffit à nommer la forêt, / une feuille à se séparer de la branche, / en novembre l’automne se pend à un arbre.» Avec tendresse, le poète évoque son grand-père né au pays de l’arak, le « lait de lions » et dans une chute concise et sensible, mêle le rire à la nostalgie : « Dans les bouteilles vides jetées à la mer / j’ai enfoui un mot ivre / à sa mémoire. »

Ronny Someck, enfin, dans Sur le sol de la page, donne libre cours à sa veine satirique : « O mon pays, qui plonge ses lèvres cannibales / dans la gorge vierge / du coucher, / les rames de la peur sont cousues à mes bras / et moi, dans la caisse de ma vie, je rame comme Noé / vers Ararat. »

Ferments de colère et d’espérance

Deux voix se mêlent de Bagdad à Jérusalem, et s’élèvent avec ardeur, comme l’écrivait magnifiquement Eluard, « de l’horizon d’un seul à l’horizon de tous. » 

Michel Ménassé                                                                                   

D’après un article publié dans la revue Europe 1000-1001 : Salah Al Hamdani & Ronny Someck : Bagdad – Jérusalem, à la lisière de l’incendie. Recueil trilingue, traduit de l’arabe (Irak) par Isabelle Lagny et Salah Al Hamdani, traduit de l’hébreu (Israël) par Michel Eckard Elial. Editions Bruno Doucey, 16 €.  

 

Michel Ménaché lors des Rencontres Résistance de l’esprit-Esprit de Résistance à Annecy en novembre 2011. (© Pierre Nouvelle)

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