A vous de jouer, Monsieur le président !

Posté le par dans Coup de gueule

par Karim Lafairouz, journaliste

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Le 31 juillet dernier, après les hommages rendus par  le président de la République le quotidien L’Humanité et le Parti socialiste, les journalistes commémoraient le centenaire de l’assassinat de Jean Jaurès, fondateur et directeur du quotidien L’Humanité. L’Intersyndicale CFDT-CFE/CGC-CFTC-CGT-FO-SNJ a profité de cette journée pour lancer son Appel du centenaire. Adresse directement libellée en direction de François Hollande.  Le chef de l’Etat est désormais appelé à réagir sur la question de la protection des sources des journalistes et de la liberté de la presse en général. Et à mettre en oeuvre son 51e engagement de candidat à la présidentielle formulé en janvier 2012.

Voici donc une nouvelle interpellation :

Monsieur le président, respectez vos engagements !

« La désignation des responsables des chaînes publiques de télévision et de radio dépendra d’une autorité indépendante et non plus du chef de l’État ou du gouvernement. Je préserverai l’indépendance de l’AFP et je renforcerai la loi sur la protection des sources. », écriviez vous au titre de votre 51e engagement de candidat.

Les journalistes ont accueilli avec enthousiasme le projet de loi sur la protection des sources préparé par votre garde des Sceaux. Auditionnés par la rapporteure du projet de loi, les syndicats ont souligné l’attente extrême de la profession et  nous avons largement amendé le texte qui avait été vidé de l’essentiel par le Conseil d’Etat. Le texte devait être présenté aux députés à l’automne 2013, et plusieurs reports ont eu lieu depuis. Nous ne pouvons penser, comme nous l’ont soufflé des parlementaires de la majorité, que le projet de loi  a été enterré en catimini, ou tout au moins est tombé dans les oubliettes.

Alors, le 31 juillet dernier, les représentants de toutes les organisations syndicales de journalistes (CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT, FO et SNJ) ont lancé l’Appel du centenaire devant l’effigie de Jean Jaurès, qui orne le Café du Croissant à Paris.

 

Jean Tortrat (SNJ-CGT),Dominique Pradalié (SNJ), Gilles Pouzin (SJ-CFTC) et Jean-FRançois Cullafroz (CFDT-Journalistes) représentaient la profession pour honorer Jean Jaurès et rappeler le président Hollande à ses engagements de campagne (© Laurent Villette).

Jean Tortrat (SNJ-CGT),Dominique Pradalié (SNJ), Gilles Pouzin (SJ-CFTC) et Jean-FRançois Cullafroz (CFDT-Journalistes) représentaient la profession pour honorer Jean Jaurès et rappeler le président Hollande à ses engagements de campagne (© Laurent Villette).

Pour mes collègues, la non-adoption d’une loi sur la protection des sources des journalistes est totalement incompréhensible.

Monsieur le président, vous êtes attaché au consensus social, et en la circonstance toutes les organisations professionnelles de journalistes, de magistrats, d’avocats,  étaient favorables à la mise en place d’une loi ambitieuse et ouverte protégeant les sources des journalistes.

Monsieur le président, vous êtes à la recherche d’un meilleur vivre-ensemble politique, et sur ce terrain, l’ensemble des groupes de l’Assemblée comme du Sénat, étaient favorables à cette loi.

Monsieur le président, vous êtes soucieux des dépenses publiques. Or cette loi n’engendrait aucune dépense. Elle renforçait les droits et devoirs des journalistes, de leurs éditeurs et des médias qui les emploient, sans débourser un euro.

 Alors, où est le problème ? De quelles natures sont donc les difficultés ?

Le projet de loi sur la protection des sources revêt une importance qui dépasse les préoccupations de près de 40 000 journalistes. Au delà d’une profession, salariés et éditeurs de toutes formes de presse confondus, ce sont les libertés publiques de toute la population qui sont concernées par cette loi. Après la loi sur le mariage pour tous, celle sur la réforme pénitentiaire, cette nouvelle loi de Christiane Taubira devait assurer encore plus étroitement le fondement même de notre démocratie et le principe constitutionnel de liberté de communication. Principe instauré par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en son article 11.

Avec ce texte fondateur de notre démocratie, le droit des journalistes d’exercer leur profession en toute liberté, la liberté et le pluralisme des médias et l’indépendance et la qualité de l’information sont d’intérêt public. Ce sont eux qu’il faut renforcer si l’on veut éviter les errances d’un passé récent qui a conduit des consœurs et confrères sur les bancs de la justice et leurs investigations entravées.

On ne peut mettre en doute votre souci de l’indépendance de la justice comme celui de votre garde des Sceaux, ni votre intérêt pour la presse et des journalistes, pas plus que le souhait d’un exercice entier et serein de leur profession.

Alors où est le problème ?

De fait, dans la loi qui était en préparation, c’est la personne humaine qui était au cœur de tous ses articles. C’est elle qui se trouvait placée au cœur d’un conflit de droits et de devoirs que les parlementaires devront arbitrer. D’un côté, il s’agit de protéger les personnes, journalistes et informateurs en général et leurs sources qui sont le plus souvent des personnes physiques. De l‘autre, il y a les personnes qui peuvent être mises en cause par les informations que révéleront les investigations journalistiques, et dont il est indispensable de protéger l’intégrité et la vie privée.

Un impératif démocratique

Une loi sur la protection des sources des journalistes est donc plus que jamais nécessaire. Garante des droits individuels et des devoirs des journalistes, elle devrait s’accompagner de la reconnaissance juridique des équipes rédactionnelles, assurant le statut collectif des journalistes.

Monsieur le président, vous êtes le garant des libertés constitutionnelles. Alors, en ce 70e anniversaire des ordonnances sur la presse élaborées par le Conseil national de la Résistance, vous êtes aussi le légataire de ceux qui ont réinstauré la démocratie après la période de la Collaboration avec l’occupant nazi.

Monsieur le président, vous êtes soucieux de voir la France défendre la démocratie dans le monde, et nous nous en réjouissons. Mais nous serions comblés si cet impératif commençait à s’exercer sur notre sol national. Car nous ne saurions trop le redire : la protection des sources des journalistes est un des éléments permettant de concourir à un meilleur exercice de la démocratie.

Après vos engagements de janvier 2012, deux et demi plus tard, ce sont des actes que nous attendons de votre gouvernement. Qu’il présente au plus tôt ce projet de loi !

Jean Plantu, dessinateur attitré du quotidien Le Monde, mais aussi journaliste militant pour la liberté de la presse a composé cette caricature pour l'intersyndicale nationale des journalistes (© Pierre Nouvelle).

Jean Plantu, dessinateur attitré du quotidien Le Monde, mais aussi journaliste militant pour la liberté de la presse a composé cette caricature pour l’intersyndicale nationale des journalistes (© Pierre Nouvelle).

 

 

 

 

 

 

 

 

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