Dieu bénit-il la guerre ?

Posté le par dans Coup de gueule

 

Chrétiens, Yézidis... les minorités irakiennes font la Une de l'actualité (© Pierre Nouvelle).

Chrétiens, Yézidis… les minorités irakiennes font la Une de l’actualité (© Pierre Nouvelle).

Par Jean-François Cullafroz, journaliste

Le sabre et le goupillon, c’est une histoire vieille comme les religions… Fallait-il pour autant souhaiter que l’armée française intervienne pour aider les populations minoritaires d’Irak ? La question mérite d’être posée après avoir entendu Mgr Bernard Podvin, porte-parole de la Conférence de l’Eglise catholique en France, invitant les responsables politques à faire usage de la force pour faire régner la justice. Une position de l’épiscopat français rejoignant celle du Vatican qui soutient l’intervention des Etats-Unis en Irak.

Il y a moins d’un mois, les religions présentes en France, dont le christianisme, le judaisme et l’Islam appelaient à la paix entre Israël et Palestine, condamnant de facto les roquettes venues de Gaza et les ripostes d’Israël, par drones interposés. Cela n’a malheureusement pas le conflit de s’envenimer, et le nombre de morts de s’accroitre à partir de l’entrée des troupes israéliennes en territoire palestinien. Selon le quotidien Le Monde, le 3 août, le compteur macabre de l’opération « Bordure protectrice » affichait 1717 morts, dont 1176 civils du côté palestinien, et 63 morts israéliens, dont 3 civils. Quelles que soient les polémiques sur le décompte des morts, l’ampleur de cette tragédie et les conséquences urbaines en terre palestinienne sont manifestes.

Appel à la justice et à la paix

Le 21 juillet, la Conférence des responsables des cultes en France lançaient un appel soulignant que « personne ne peut être indifférent au conflit au Moyen-Orient ». Evêques, Grand rabbin et président du Consistoire juif,  Recteur de la Grande Mosquée de Paris et présidents de la Fédération protestante de France et de l »Eglise protestante unie, et responsables bouddhistes, en appelaient à « la justice et la paix dans cette région« .

Faire la part entre approche géopolitique, appartenance communautaire, et religion et vivre-ensemble n'est pas toujours évidents.  Les réactions de juillet en région parisienne en ont apporté la preuve (© Pierre Nouvelle).

Faire la part entre approche géopolitique, appartenance communautaire, et religion et vivre-ensemble n’est pas toujours évidents. Les réactions de juillet en région parisienne en ont apporté la preuve (© Pierre Nouvelle).

Dans la foulée, ils dénonçaient « toute tentative d’importer en France ou d’instrumentaliser les divisions d’ordre politique ou la haine entre les religions qui pourraient mettre en cause notre vivre ensemble (…) et appelaient à la prière « inlassablement pour la paix et confions à Dieu toutes les victimes civiles et militaires ».

Une semaine plus tard, trois responsables religieux français, dont le cardinal Philippe Barbarin, visitaient la région de Mossoul pour se rendre compte de la situation des chrétiens persécutés. A leur retour, par la voix du directeur de l’Oeuvre d’Orient, Mgr Pascal Gollnisch, ils définissaient trois  niveaux d’action :  l’aide d’urgence avec un appel aux dons des fidèles, ensuite la mobilisation de l’opinion car « ce n’est pas à l’Eglise seule d’assumer des dizaines de milliers de personnes déplacées ». Enfin, ce responsable catholique ajoutait qu’« on ne pourra pas faire l’économie d’un travail en profondeur qui est aussi un travail de mémoire. (…) « Il n’y a aucun Etat islamique à Mossoul, il y a un Etat islamique autoproclamé. Ce sont des bandes qui se proclament propriétaires de Mossoul, ce sont des occupants sans titres, illégitimes. Il est hors de question de les reconnaître ni de sembler accréditer la thèse selon laquelle ils sont chez eux ! « 

De Bagdad à Erbil et Mossoul, ce sont les populations qui souffrent (© Pierre Nouvelle).

De Bagdad à Erbil et Mossoul, ce sont les populations qui souffrent (© Pierre Nouvelle).

La force pour imposer la justice ?

Aucun propos vindicatifs non plus dans la bouche de ses deux collègues. Mgr Michel Dubost appelait à une plus juste vision de la situation à Mossoul « qui  » est suffisamment tragique pour qu’on ne raconte pas n’importe quoi, par exemple que des chrétiens y ont été tués ! Nous devons éduquer à la paix en étant le plus vrai possible ». Et comme il l’avait fait un mois plus tôt dans un billet publié par le quotidien Le Figaro, le Primat des Gaules concluait en soulignant espérer en l’avenir comme le font les chrétiens irakiens. « Le patriarche Sako écoute son peuple et partage sa souffrance, mais il combat le péché de désespoir qui les guette et il appelle ses ouailles à fonder leur espérance dans la foi. Plusieurs fois nous l’avons entendu dire : « Jonas est sorti du ventre de la baleine, Mossoul, l’antique Ninive, sortira aussi de ces ténèbres ». Cela nous parle : nous-mêmes nous risquons le même péché, lorsque nous nous lamentons que les églises sont vides, qu’il n’y a plus de prêtres… » , déclarait l’archevêque de Lyon.

Alors comment expliquer que  ces bonnes paroles proférées « en communion avec tous les hommes et toutes les femmes de bonne volonté », comme le soulignaient les responsables des cultes en France, conduisent deux semaines plus tard, le porte-parole de l’Eglise catholique en France appeler une intervention armée, expliquant la nécessité d’une guerre juste. Propos qui devançaient de quelques minutes l’annonce de Laurent Fabius d’une aide militaire de la France, aide confirmée deux jours plus tard par l’envoi d’armes.

A son passage à Mossoul, Laurent Fabius avait visité les communautés chrétiennes et yézidis. Après l'envoi humanitaire le week end passé, mercredi 13 août, il annonçait l'envoi d'armes (© Pierre Nouvelle).

A son passage à Mossoul, Laurent Fabius avait visité les communautés chrétiennes et yézidis. Après l’envoi humanitaire le week end passé, mercredi 13 août, il annonçait l’envoi d’armes (© Pierre Nouvelle).

« Il n’y a pas de génocide »

Le patriarche chaldéen soulignait au quotidien La Croix qu’il n’y avait pas de génocide de chrétiens en Irak. Tout en soulignant l’enlèvement de femmes chrétiens pour être épousées de force, il affirmait qu’il n’y a eu «  « aucune décapitation. À Mossoul, de l’argent a été volé, mais les chrétiens n’ont pas été attaqués physiquement. Il y a eu un exode de masse et beaucoup de panique dans la plaine de Ninive. Les personnes ont été littéralement chassées de leurs propres villages. Il n’y a eu qu’un mort, un homme qui a tenté de traverser un check-point dans un moment de tension. »

« Nous encourageons chacun à mesurer la portée de ses propos et de ses actes dans la perspective d’une vie responsable et fraternelle qu’il faut sans cesse construire et affermir », demandait Mgr Dubost à son retour de Mossoul. On ne peut donc douter que le responsable de la communication de l’Eglise catholique en France, lui-même ancien journaliste,  se soit exprimé sans réflexion sur l’antenne de France 2, dont il était invité le 13 août dans la séquence Les quatre vérités de l’émission Télématin. Répondant aux questions de notre confrère Roland Sicard, Mgr Podvin dénonçait l’attentisme en Europe. Relayant la position des autorités catholiques françaises et des épiscopats européens, il déclarait notamment : « Il y a une atteinte des minorités, il faut donc user de la force (…) avec pertinence, justesse et proportion ». Et La Croix, relayant une dépêche de l’Agence France Presse, ajoutait qu’« à la question de savoir si ces minorités étaient victimes d’un génocide, Mgr Podvin a répondu: « oui, certainement », a-t-il ajouté. « Ces minorités ont déjà tout perdu ».

En communion avec Rome, Mgr Bernard Podvin avalisait-il un changement de doctrine, rompant avec la non-violence qui avait prévalu en 2013 pour la Syrie. Lundi 11 août, le Vatican n’a-t-il pas approuvé les frappes américaines contre les jihadistes de l’Etat islamique, l’observateur du Saint-Siège auprès des Nations unies, déclarant qu’il fallait « intervenir maintenant, avant qu’il ne soit trop tard », C’est peut-être aller vite en besogne au regard des propos du pape François appelant à la paix dans l’avion qui le conduisait ce jeudi 14 août à Séoul.

Jean XXIII entends-tu ?

La longue marche de populations chassé de leurs terres ancestrales(© Pierre Nouvelle).

La longue marche de populations chassé de leurs terres ancestrales(© Pierre Nouvelle).

Comment ne pas être désarçonné quand on entend un responsable catholique français réitérer ses propos une demi-heure après son passage à la télévision. Sur Europe 1 au micro de Jean-Philippe Balasse, le porte-parole catholique s’est même référé au philosophe chrétien Blaise Pascal pour justifier l’emploi de la puissance des plus forts pour venir en aide aux plus faibles et aux minorités irakiennes (chrétiennes, yézidis et autres…), au risque d’être qualifiés de lâcheté ?

Des interrogations méritent d’être martelées à temps et à contretemps. Si la justice doit être forte, n’est-elle possible que que par l’emploi d’une force juste ? Peut-on accorder sa bénédiction à l’emploi de la violence armée « dans des conditions éthiques », tout en déclarant « ne pas se substituer aux responsables politiques et à la représentation parlementaire » ?

Qui croire et que croire ?

Où sont donc les principes énoncés par le pape Jean XXXIII le 11 avril 1963, dans une encyclique qui fait référence, demandant que la paix sur la terre soit le but recherché inlassablement ? Où sont donc les injonctions contre la bombe et l’armement nucléaire, réaffirmé en France comme à Rome ? Où est donc la non-violence ? Peut-elle prendre le pas sur la guerre « juste » ? Faut-il prendre au sérieux les dernières supplications du pape François ?

Ce jeudi à son arrivée à Séoul, « Jorge Bergoglio s’est exprimé en direction des deux Corées afin qu’elles dépassent les « récriminations » par le dialogue et cesser de recourir au « déploiement de forces » », soulignait le site Internet du quotidien La Croix. Alors, ce qui est bon pour l’Asie ou la « Terre sainte » n’a-t-il pas de valeur pour la Mésopotamie ?

Tout humain, doué de raison, souhaiterait entendre des propos cohérents, fondés sur les valeurs de fraternité, de justice et d’amour rappelées à chaque verset des Evangiles et de la Bible juive.

Marie-Myriam, trait d’union pour la paix ?

Les trois religions monothéistes reconnaissent une place à Marie, jeune fille juive élevée en terre de Palestine (© Pierre Nouvelle).

Les trois religions monothéistes reconnaissent une place à Marie, jeune fille juive élevée en terre de Palestine (© Pierre Nouvelle).

Marie, Maryam, Mariam, Maryem ou Meryem, dont les chrétiens catholiques fêtent l’Assomption et les chrétiens orthodoxes la Dormition, en ce vendredi 15 août ne peut-elle être médiatrice entre chrétiens, juifs et musulmans ? N’est-elle pas Myriam, jeune mariée juive, qui conduisit son fils nouveau-né au temple de Jérusalem ? Marie n’est-elle pas présente du début à la fin de l’évangile de Jean, des Noces de Cana (Jn 2,1) ) au calvaire (Jn 19,25) ? N’est-ce pas elle, la fille d’Imram, dont parle Coran dans les sourates 3 (3, 43 et suivants) à 19 (9,16 et suivants) ?

N’est-ce pas une invitation à la paix, instaurée par la patience et la persuasion hors de toutes solutions violentes ?

 

 

 

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