Edito de Jean-François Cullafroz, journaliste honoraire, carte de presse 49 272
Monsieur le Premier ministre,
Lors de vos vœux à la presse, dans la foulée du président de la République, vous avez évoqué la protection des sources des journalistes. Il faut dire que toute la France était sous l’émotion de l’assassinat dans la rédaction de Charlie Hebdo... Emotion réelle et sincère, je n’en doute pas ! Mais maintenant, des actes sont nécessaires. A vous de jouer afin de faire adopter au cours de la session parlementaire qui s’annonce le projet de loi préparée votre ministre de la Justice et adopté par le conseil des ministres il y a un et demi….
Or, après l’amendement proposé par deux députés socialistes, et non des moindres (Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois), la profession a de quoi être sur ses gardes. D’autant qu’en cette fin de semaine, à nouveau un nouveau coup vient d’être porté à la liberté d’expression avec un proposition de loi UMP votée en catimini concernant les lanceurs d’alerte et les questions nucléaires. De quoi s’agit-il ? D’une proposition de loi UMP adoptée jeudi 5 février 2015 dans un hémicycle quasi désert, malgré l’opposition des députés écologistes.
Les lanceurs d’alerte condamnés
« Ils étaient bien seuls pour dénoncer ses réelles intentions. Cette proposition prévoit en effet d’alourdir les sanctions pour intrusion sur un site nucléaire, avec notamment la création – pour l’occasion- d’un délit pénal sur le sujet.
Sans complexe, elle vise directement les citoyens, militants, lanceurs d’alerte anti-nucléaires, qui par leurs actions coup de poings, démontrent avec courage la très grande vulnérabilité de nos centrales nucléaires. Absolument pacifiques, ces opérations sont destinées à alerter les responsables politiques d’une situation particulièrement dangereuse pour la sécurité et la santé de nos concitoyens », déclarait ce vendredi 6 février Emmanuelle Cosse, secrétaire nationale d’EELV..
Protection des sources : tenez-vos promesse, s’il vous plait !
Monsieur le Premier ministre n’est-il pas urgent de faire ressortir des limbes, le projet de loi préparé par votre ministre de la Justice, Mme Christiane Taubira, suivie d’une consultation large et active d’une de vos collègues parlementaires socialistes, Mme Marie-Anne Chapdelaine. Texte adopté en Conseil des ministres le 12 juin 2013 !
Faut-il vous rappeler qu’appelée de ses vœux par toute la profession, les syndicats de journalistes et les patrons de presse, cette loi qui s’appuie sur un consensus social, fait aussi l’objet d’une approche unanime des sensibilités politiques de la représentation nationale. Après les députés, ce sont aussi les sénateurs qui ont témoigné de leur accord. Ecoutez plutôt.
Pour ne pas froisser d’emblée, écoutez les propos de Jean-Pierre Sueur, recueillis en octobre 2013 par mes soins et lors d’une audience du syndicat CFDT-Journalistes. Celui qui était alors président de la commission des lois dusénat et qui connaît bien (familialement) le monde de la presse était très clair.
Détermination analogue des parlementaires écologistes, et cela ne vous étonnera pas quand on compte dans leurs rangs un député comme Noël Mamère, maire de Bègles (gironde) et ex-journaliste de France 2, et aussi militant syndicaliste CFDT. Pierre Januel, collaborateur de l’Inter-groupe parlementaire Assemblée-Sénat exprime le sentiment des élus des deux assemblées.
Pour leur part, les centristes étaient sur la même longueur d’ondes. Voici leur point de vue rapporté par Catherine Morin-Desailly, sénatrice Union centriste,. des propos recueillis par Hakima Bounemoura lors d’une rencontre avec la CFDT-Journalistes.
Monsieur le Premier ministre, votre seconde année à la tête du gouvernement verra-t-elle enfin l’adoption d’un texte protecteur des journalistes et de leurs sources, qu’elles soient matérielles (communications, agenda, documents…) ou personnes physiques (au premier chef les lanceurs d’alerte que peuvent être des élus politiques, responsables syndicaux ou militants associatifs ? Un texte large, ouvert, qui bannisse toutes restrictions au nom d’un intérêt supérieur, fut-il de la Nation.
Cette loi est une nécessité démocratique ! Dénoncer les journalistes qui ne feraient pas leur métier correctement, et ne pas donner à la profession les garanties juridiques pour l’exercer ne sera pas longtemps tenable. Il en va aussi de l’honneur de la République laïque, sociale une et indivisible, dont vous êtes un des défenseurs et des hérauts. Une position que nous partageons fraternellement avec vous, mais qui aurait besoin de s’incarner concrètement.