Reportage de Jean-François Cullafroz, journaliste professionnel honoraire, carte de presse 49272
Samedi 4 et dimanche 5 février, Lyon était la plaque tournante de l’élection présidentielle. Alors que les militants de François Fillon distribuaient des tracts pour leur candidat dénonçant « une chasse à l’homme », Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon et la présidente de la droite extrême tenaient meeting entre Rhône et Saône. Echos d’une campagne présidentielle passionnante qui a débuté samedi en milieu d’après-midi avec l’ancien ministre de l’économie, Emmanuel Macron, devenu depuis l’été dernier le leader du mouvement En marche.
Le Palais des sports de Lyon, dans le quartier de Gerland, était trop petit et seulement 8 000 personnes ont pu y prendre place, alors qu’au moins 5 000 autres piétinaient sur le parking qui jouxte l’ex stade de l’Olympique lyonnais.
Venue de la société civile
C’est tout d’abord une femme, Marlène Schiappa, adjointe au maire du Mans, dans le fief de François Fillon qui ouvre l’après-midi. Elle est la co-équipière de Jean-Claude Boulard, premier magistrat socialiste de Mans, qui a pris fait et cause pour Emmmanuel Macron il y a plusieurs mois. Dans un discours très féministe, cette élue issue de la société civile rend à hommage à Benoite Groult, une des figures du Mouvement de libération des femmes (MLF).
Ensuite, c’est au tour du maire de Lyon de chauffer la salle. « Vous le savez, ma carrière politique est longue, et je n’avais vu une salle aussi pleine et je n’ai jamais senti une telle ferveur », déclarait en début de meeting l’hôte des lieux, le président du Grand Lyon. Pourtant, Gérard Collomb était là quand François Mitterrand a réuni la gauche unie autour du programme commun en 1974, mais depuis, il n’y a jamais eu autant de monde et d’enthousiasme pour une réunion politique.
Mathématicien, économistes, écrivain… des soutiens attentifs
Au premier d’une salle bigarrée et très diverse en tranche d’âge, avec une part majoritaire de jeunes dans le registre Black, blanc, beur, il y a là des intellectuels comme Erik Orsenna, le brillant mathématicien Cédric Villani, des économistes tels Philippe Aghion et Elie Cohen, des sportifs comme Wendie Renard, capitaine des footballeuses françaises, mais aussi Eric Halphen, ancien juge anti-corruption, des sportifs… et au moins 200 élus locaux, régionaux et même parlementaires issus des rangs des partis centristes et socialiste.
Mais qu’attendent les jeunes qui sont venus en grand nombre. Des jeunes lycéens, étudiant des jeunes des quartiers populaires ? Questions à Clément, Aline et Pierre trois élèves en économie à l’université Lyon 3.
Des jeunes en grand nombre
La personne d’Emmanuel Macron a su fédérer nombre de jeunes depuis six mois de marche en France. Parmi les 170 000 adhérents, notamment venus par le biais de 350 comités locaux, il y a Célia, étudiante en droit à l’Université catholique de Lyon, et Julien, un de ses amis. Ils expliquent pourquoi ils sont devenus militants.
Emmanuel Macron balaie large, à l’image du spectre de son discours. Pendant deux heures, cet ancien haut-fonctionnaire et membre d’une grande banque d’affaires, a évoqué les thèmes qui depuis six mois rassemblent ceux qui rejoignent son mouvement « En marche ».
En citant au début de son propos le poète René Char protégé par le mouvement d’une marée villageoise qui l’a sauvé des nazis, il se situe délibérément sous le signe de la résistance.
Résistance au défaitisme, à la résignation pour laisser la place à l’innovation, au changement et à la jeunesse sous le sceau de la « trinité républicaine ». « Une liberté qui veut aussi délivrer le monde économique du carcan administratif, mais qui ne se soumet au diktat de l’argent. Une égalité qui ne signifie l’égalitarisme, et la fraternité qui confère la dignité aux femmes et aux hommes par le travail et non pas par l’assistance ou le revenu universel. »
Face à une société toujours sous le coup de la crise économique, et en proie aux déséquilibres et incertitudes mondiales, l’ex-ministre de l’économie de François Hollande, invite son public à dépasser la peur dans une période grave.
Emmmanuel macron n’a pas déployé dans le détail son programme dont il promet la publication fin février. Il a cependant livré quelques mesures tant le domaine de la sécurité comme de l’éducation, deux chantiers prioritaires.
Emmanuel Macron plaide tout à la fois pour l’embauche de 10 000 policiers et gendarmes en cinq ans, pour de meilleurs salaires pour les enseignants en zone difficile, l’abaissement de la moitié des effectifs par classe (25 aujourd’hui) dans les quartiers populaires, le replacement des cotisations sociales maladie et retraite par la CSG (cotisation sociale généralisée), des contrats négociés avec les agriculteurs pour compenser les aléas mondiaux des cours des matières premières…
Avec à la clé la poursuite des réformes entamées par l’actuel Président Hollande (dont le nom n’a jamais été cité) : simplification du Code du travail, négociations par branches ou par entreprise, baisse des cotisations sociales, suppression du Régime social des indépenfants (RSI) mis en place par le gouvernement Raffarin sous la présidence de Jacques Chirac en 2005.
Citant tour à tour le capitaine Dreyfus et la luttes des radicaux contre l’antisémitisme, les protestants qui ont conçu les lois laïques de 1905, les communistes, chrétiens, et francs-maçons qui ont rejoint la résistance au nazisme impulsée par le Général De Gaulle, il a encore vanté l’action en faveur de la légalisation de l’IVG de la ministre et ancienne déportée Simone Veil et de Jacques Chirac pour son discours au Vel d’hiv.
Si Emmanuel Macron reprend ce qui fait l’unité de la population française, il n’hésite pas à bousculer les tabous comme celui de l’égalité, qu’il demande de ne pas confondre avec « l’égalitarisme ».
Macron, un touche à tout de talent ?
Le panorama est ample, et le candidat se projette résolument dans le futur, et l’on sent que si la victoire couronne Emmanuel Macron, il lui faudra bien deux mandats successifs de cinq ans pour mettre en application son programme et faire bouger la société française. Mais pour cela, le candidat à la magistrature suprême française compte sur les jeunes qu’il appelle à prendre des responsabilités, et notamment les femmes avec lesquelles il mettra en œuvre la parité totale des candidatures comme cela est le cas pour ses délégué-es- dans toute la France.
Face à ses concurrents, qui sont tous des vieux routiers de la politique, le jeune homme de tout juste 39 ans, dégage une aura indéniable faite de bienveillance, de regard positif et de sororité. Un élan savamment orchestré par Bruno Bonnell, le créateur lyonnais d’Infogrames, une des rares entreprises françaises qui a excellé dans la création de jeux informatiques.
Au fil du meeting, chacun des challengers du fondateur du mouvement « En marche » en prend pour son grade sans qu’il ne soit jamais cité et qu’il interdit au public de huer, à l’exception de Mme Le Pen, dont il se démarque vertement. Soulignant sur un ton très européen qu’il est fermement opposé aux replis, à la préférence nationale et au rejet de l’étranger.
Jeunes : des réactions opposées sur le discours d’Emmanuel Macron
Alors, au terme de deux heures et demi, qu’en pensent des jeunes participants.Réactions de Florian, Alexandre et Antoine, des lycéens venus de Vienne et de Condrieu, au sud de Lyon, dans la vallée du Rhône.
Point de vue différent d’étudiants en médecine à Lyon. La place accordée aux femmes est un des éléments qui revient en premier dans les propos de Mathilde et d’Antoine.
Emmanuel Macron a annoncé son programme économique pour fin février. D’ici là, la situation française qui présente une droite affaiblie et une gauche divisée aura évolué, et on saura si celui qui peut apparaître comme le joker du président socialiste sortant confirmera sa percée.
Alors, cette réunion électorale d’ampleur très réussie aura-t-elle des prolongements; Point de vue d’un confrère, Michaël Darmon, qui a quitté I Télé après la reprise en main par son patron Vincent Bolloré. Il est désormais salarié de Sud Radio, en expert de la chose politique, il jette un regard circonspect.
Le tour de France du mouvement En marche débutera le 11 février dans la commune de l’Union, aux portes de Toulouse. Dans cette circonscription détenue par un député socialiste, le cardiologue Gérard Bapt, qui a figuré parmi les soutiens d’Irène Frachon dans l’affaire du Médiator, on verra comment le peuple de gauche réagira à cette candidature qui entend se situer hors des clivages droite-gauche habituels et au dessus des partis.
(à suivre…)
Prochain article : Jean-Luc Mélenchon : l’anti-Front national, chantre de l’éducation, de la culture et de la recherche