Non, Monsieur le cardinal !

Posté le par dans Coup de gueule

 

Dans le quotidien La Croix du 23 janvier 2014, le cardinal-archevêque de Lyon annonçait qu'il serait dans les rangs de la Manif pour tous (© Pierre Nouvelle).

Dans le quotidien La Croix du 23 janvier 2014, le cardinal-archevêque de Lyon annonçait qu’il serait dans les rangs de la Manif pour tous (© Pierre Nouvelle).

Par François Dalla-Riva

Ce dimanche 2 février la Manif pour tous sera à nouveau dans les rues de Paris et de Lyon. Des responsables de l’Eglise catholique seront parmi elles, à l’instar du cardinal Philippe Barbarin qui s’est exprimé dans le quotidien La Croix en tant que simple prêtre. Cette initiative personnelle, comme les appels à manifester jettent l’embarras, non seulement parmi les fidèles catholiques, mais aussi les prêtres, à l’exemple du Père Jean Comby qui témoigne. Décryptage.

Huit mois après l’adoption de la loi sur le mariage pour tous, les organisateurs font de la résistance. Les récents amendements à la loi sur l’IVG, le projet de loi sur la famille, les expérimentations du ministère de l’éducation en matière d’enseignement sur les rapports garçons-filles, et même le renouvellement du Comité consultatif national d’éthique en septembre dernier, la loi sur la fin de vie en préparation, sont autant d’axes de bataille pour contester les décisions prises par les parlementaires et les projets du gouvernement. Tout cela sur fond de rumeurs et de soupçons, et de discrètes pressions sur les médias amis (voir notre article sur ce blog la situation au quotidien Ouest-France et sur le positionnement de la rédaction de La Croix).

Dans la rubrique forum du quotidien La Croix du 23 janvier, le Primat des Gaules s’exprimant en son nom personnel, annonçait qu’en tant que prêtre, il ne pourrait pas « passer son chemin ». Un choix qui fait suite à celui d’évêques qui avaient déjà pris fait et cause lors de la Marche pour la vie en soutien au projet de loi espagnol contre l’avortement le 19 janvier dernier..

 

Les sujets de société : vraies questions étjiques ou tremplin pour contster la légitimité du gouvernement ? (© Pierre Nouvelle)

Les sujets de société : vraies questions étjiques ou tremplin pour contster la légitimité du gouvernement ? (© Pierre Nouvelle)

L’argument qui conduit Mgr Barbarin à manifester est essentiellement lié au respect de la filiation dont l’enfant serait privé, si la loi sur la famille qui est annoncée, statue favorablement sur la procréation médicalement assistée (PMA) et la Gestion pour autrui (GPA).

. » Si l’accès à la PMA et à la GPA est ouvert, on verrait pour la première fois une génération d’enfants privés intentionnellement d’un de leurs parents. (…) Au fond, ces mesures consacreraient le droit de l’adulte sur le droit de l’enfant, le droit du plus fort sur celui du plus faible… déjà terriblemet mis à mal par la loi sur l’avortement qui se présentait comme une loi d’exception pour répondre à des situations de détresse et que nous voyons dériver à vive allure depuis quelques décennies «  , déclare Philippe Barbarin. Il ajoute dans le même registre que cela mettrait à mal pour chacun, la conception même  » d’une existence comme le fruit de l’union d’un homme et d’une femme, quels qu’aient été les frasques ou les accidents de la vie de nos ancêtres, de nos parents… »

Manifester est un droit…

Sans doute aucun, l’Eglise catholique comme les autres confessions chrétiennes, religions et traditions philisophiques ont-elles le devoir de faire connaître leurs points de vue sur les sujets de société, afin de concourir à la recherche du vivre-ensemble le plus équilibré possible. Et pour sa part, l’Eglise catholique ne manque pas de le faire, comme en a témoigné le 16 janvier dernier les positions exprimées sur la fin de vie par le Conseil permanent des évêques de France puis le lendemain par son Conseil Famille et société.

Il est tout aussi légitime que des citoyens expriment pacifiquement leurs positions en manifestant, rédigeant des pétitions, s’adressant aux pouvoirs publics… Et là non plus, iles catholiques ne s’en privent pas, comme l’atteste le pétition de 700 000 signatures adressée l’an dernier au Conseil économique, social et environnemental (CESE) sur le mariage pour tous. Une assemblée qu’ils jugent sourde à leur appel, alors que .le Cese l’a estimé irrecevable selon les propres termes de son président, Jean-Paul Delevoye, un ancien élu UMP qui ne passe pas pour un « laicard ». D’ailleurs, dans la foulée de son avis, le Cese s’est autosaisi d’une étude afin de réaliser  » une approche comparée à l’échelle européenne et internationale, (…) afin d’établir un état des lieux aussi complet que possible, pouvant nourrir la réflexion de la puissance publique « .

Voir un évêque dans la rue est autre chose

Il est une autre paire de manches qu’un responsable éminent comme Mgr Barbarin décide de manifester publiquement. Le site Internet du diocèse de Lyon explique d’ailleurs que  » l’évêque guide l’Eglise de son diocèse dans le domaine de la foi et de la vie spirituelle « . Il est regrettable de plus que sa prise de position s’appuie sur la mise en doute de l’honnêteté du gouvernement et la légitimité des parlementaires et de leurs votes.

Un prêtre, évêque et cardinal, même s’il est membre d’instances d’une Eglise universelle, n’est-il pas pour autant citoyen de son propre pays ? Ne doit-il pas être, compte tenu de sa position et de sa mission, respectueux des structures de la République, sans rien renier de ses convictions intimes et de celles de l’Eglise dont il est un des responsables ? Alors, pourquoi le soupçon ? Pourquoi les contre-vérités, alors même que des ministres se sont engagés avec clarté et que les choix du président de la République n’ont en rien modifié la présence des sensibilités religieuses au sein du Comité consultatif national d’éthique ?

Le combat que mène l’archevêque de Lyon semble puiser son fondement en un temps où le trône et l’autel faisaient bon ménage, où les fidèles catholiques étaient largement majoritaires, et où Eglises et Etat n’étaient pas séparés. Une époque, prérévolutionnaire en quelque sorte, qui a repris vigueur sous la présidence précédente.  » C’est vrai que Nicolas Sarkozy, l’Eglise catolqiue avait été instrumentalisée, mais avec François Hollande, il y a une ignorance totale des Eglises « , me confiait un professeur d’une faculté catholique, contraint de parler dans l’anonymat.

Un choix personnel qui engage une Eglise

Même qualifiée de position personnelle, le choix du cardinal a donné le « la » à tout un diocèse, dont manifestement les organes qui l’animent n’ont pas pris position sur cette manifestation. Le droit canon et les textes conciliaires soulignent que le rôle de l’évêque est celui d’un pasteur, chargé d’assurer la communion (entendez en terme profane le consensus, la cohésion) entre tous ses fidèles et ses prêtres. Est-ce vraiment le cas en l’occurence ?

On peut en douter à la réaction discrète de proches de l’Antenne sociale de Lyon (commision spécialisée du diocèse) qui nous confiaient être  » désemparés devant cette offensive droitière au sein de l’Eglise, où la pensée sociale chrétienne n’est plus soutenue que par une génération vieillissante. (…) Une pensée qui n’a pas d’intellectuels qui la creusent parmi les étudiants en théologie aujourd’hui. Une pensée qui disparait sous la vague de spiritualisme qui envahit nos églises.  »

Le positionnement de Mgr Barbarin a déjà eu deux effets contradictoires : faire que des curés incitent leurs paroissiens à manifester. Certaines feuilles paroissiales du dimanche ont reproduit en effet intégralement son texte. Dans le même temps, elle en a conduit d’autres à s’irriter, à défaut de pouvoir s’exprimer publiquement. Mettant à bas tout le travail, pédagogique et attentif à la réalité des situations humaines, développé par le pape François depuis onze mois. Rompant aussi avec les efforts déployés en France par Mgr Dagens après le vote de la loi sur le mariage pour tous, et ensuite par Mgr Georges Pontier, nouveau président des évêques français, qui a fait montre d’une position plus respecteuse de la diversité des catholiques de ce pays et de la laîcité que son prédecesseur, le cardinal-archevêque de Paris.

L'archevêque de Lyon rappelle qu'il était déjà dans les rues de sa ville le 13 janvier 2013 au côté du président du conseil régional du culte musulman de Rhône-Alpes (© DR).

L’archevêque de Lyon rappelle qu’il était déjà dans les rues de sa ville le 13 janvier 2013 au côté du président du conseil régional du culte musulman de Rhône-Alpes (© DR).

Car de fait, les choix de Mgr Barbarin sont ciblés. Même s’il revendique l’attention au prochain à l’exemple du Bon Samaritain, en défendant tous les « sans », « enfants sans naissance, sans parents, sans voix, pour les personnes sans âge, sans avenir pour les sans papiers, sans-pays, sans-domicile-fixe… », on peut s’interroger sur sa sollicitude à l’égard des conflits sociaux de son département, et des entreprises en voie de fermeture et de leurs salariés … ?

Une chape de plomb

Pourtant, certains osent braver la chape que maintiennent de fait des communautés de pratiquants, dont la Croix rappelait récemment qu’ils votaient à près de 70 % à droite. Ainsi, le Père Jean Comby. Prêtre du diocèse de Lyon depuis plus de cinquante ans, ce spécialiste de l’histoire de l’Eglise n’hésite pas à dire tout haut ce que pensent nombre de ses confrères de sa génération. Des pasteurs qui frisent aujourd’hui les 80 ans et qui restent les hérauts des intuitions prophétiques du concile Vatican II.

Voici l’entretien que nous a accordé le Père Jean Comby.

http://youtu.be/lEfwMA4ROS4

 

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