Par Jean-François Cullafroz
Radio, télé, presse écrite, journaux électroniques, blogs et sites Internet… l’affaire de la quenelle et de son géniteur a monopolisé l’attention de la plupart des médias la quinzaine passée. Mais, après des flots d’écrits, de paroles et d’images, le public en sait-il plus ? Comment traiter les faits qui touchent au racisme et à l’antisémitisme ? Point de vue d’un journaliste retraité qui porte un regard acéré sur une profession qu’il considère encore comme sa famille.
Il y a en a un qui se frotte les mains. Pour une pub, eh bien, c’est une ! Et gratuite de surcroît. Pour obtenir une place dans son théâtre parisien, il va falloir réserver très longtemps à l’avance ! Et nos confrères de s’interroger sur ce mouvement du bras pour savoir, si de près ou de loin il s’apparenterait au salut de ralliement des Nazis.
» Ils déconnent complètement tes collègues, pas un jour qu’ils ne tartinent sur la quenelle depuis que Manuel Valls ait parlé ! « , m’interpellait cette semaine mon copain Jean-Pierre, un camarade de classe avec qui je partage volontiers un verre de saint-joseph sur sa terrasse au pied du Pilat.
Il avait bien raison le bougre, car hormis quelques gazettes qui se détachent de l’actualité, combien sommes-nous à avoir remis ce fait en perspective ? Combien ont dépassé le fait brut pour aller plus loin dans le dessous des cartes ? Sans doute les plus éclairés ont-ils rappelé qu’auparavant, c’est la banane qui avait été mise en exergue pour mieux diffamer, Christiane Taubira, la Garde des Sceaux. Mais qui a rappelé que les « niouses-magazines » ont multiplié ces derniers mois les « Unes » sur les Roms, les musulmans, les étrangers ? Un phénomène devenu à ce point banal que des journalistes pourtant intègres et compétents n’ont pas vu plus de malice dans une première page de Valeurs actuelles sur les Musulmans que celles avec lesquelles le Figaro-Magazine s’était déjà illustré par le passé.
Une indéniable banalisation
Combien sommes-nous à avoir relevé que des termes, distillés depuis longtemps par la droite extrême, sont entrés de plein pied dans le vocabulaire courant et ne choquent plus personne ? Ainsi, en va-t-il des mots « envahir » ou « évasion ». Il y a quelques jours, un responsable d’une communauté catholique ligérienne, jadis patron d’une grande entreprise française, expatrié en Afrique, ne nous confiait-il pas son étonnement que des « prêtres noirs viennent envahir nos paroisses avec des rythmes qui n’ont rien à voir avec nos chants traditionnels ! »
Comme d’autres journalistes, je reçois des vagues de courriels qui mettent à l’encan ces parlementaires français, et même ces ministres, qui dorment lors de réunions, ou ces députés européens qui viennent la veille en fin de semaine pointer avant de partir en week-end, histoire de toucher leurs indemnités de commissions… Quel journaliste a fait le lien avec le vent de l’anti-parlementarisme propre aux régimes autoritaires ? Qui s’est solidarisé avec Patrick Cohen de France Inter, lors de l’attaque dont il a été victime, comme l’été passé l’avait été Frédéric Haziza, qu’une pétition appelait x à son exclusion de la Chaîne parlementaire ? Qui a mené une enquête de fond sur Serge Ayoub et Alain Soral et le déroulement de l’agression de Clément Méric.
Il est des sarcasmes qui détruisent, des mots qui empestent l’atmosphère démocratique, et pourtant les garants du quatrième pouvoir restent l’arme au pied, attendant pour lever le petit doigt qu’un ministre de l’Intérieur ne hausse le ton ?
Une profession qui doit s’interroger
Heureusement, certains sont l’honneur d’une profession. Je n’en voudrais pour preuve que deux articles en première page du Canard enchaîné de cette semaine, la Une de Charlie Hebdo, le dossier du Nouvel Observateur et l’excellente émission de France Culture, le Secret des sources. L’édition de ce samedi 4 janvier était un bijou et je recommande à ceux qui ne l’ont pas saisie au vol de la podcaster.
Bravo France Culture, et merci pourvotre traitement de l’actualité, tout en retenu et profondeur. Merci aussi aux collègues qui ont témoigné de leur travail d’investigation, sous la baguette de Frédéric Métaizeau : François Ducroux, rédacteur en chef du magazine Complément d’enquête (France 2), Denis Demonpion, rédacteur en chef de la rubrique Notre époque (Le Nouvel Observateur), Adrien Sénécat, journaliste au site l’Express.fr et Daphné Rousseau, (radio Kol Israël) et à l’avocat Fabrice Lorvo, (cabinet FTPA), spécialiste du droit de la presse.
Il est des matinales qui valent bien un stage de formation continue sur l’éthique. Les responsables des rédactions, et même les consœurs et confrères pris individuellement, pourraient en abuser. En la matière, leur usage irraisonné ne saurait nuire ni à la santé du corps ni à celle de l’esprit. Et Dieu sait que pour faire ce métier, il faut tout à la fois l’un et l’autre !
Et à la sortie de cette écoute réjouissante, quoi de meilleur que de déguster une vraie et belle quenelle lyonnaise, proposée par un des bouchons des Halles de Lyon ? Avec en prime la lecture détaillée du dernier recueil de l’association Reporters sans frontières « 100 dessins de Cartooning for peace pour la liberté de la presse » publié grâce à l’ami Plantu. On lira avec intérêt la dernière page de La Croix consacré à Michel Kichka, « dessinateur juif, belge et fils de déporté », un des dessinateurs qui a donné ses dessins pour que la presse vive libre dans le monde et que Reporters sans frontières ait les moyens de venir en aide aux journalistes pourchassés.