Reportage de Jean-François Cullafroz, journaliste professionnel honoraire, carte de presse 49272
Vendredi 5 août 2016, 23h en France, 18h à Rio-de-Janeiro et 23 h en métropole, le petit écran scintille : la séance officielle d’ouverture se profile sur le stade de Maracana, au pied du Christ du Corcovado. La 31e Olympiade se déroulera au Brésil jusqu’au 21 août pour les sportifs valides, puis durant deux autres semaines pour les Jeux paralympiques. Il y a 80 ans, du 1er au 16 août avait lieu en Allemagne la 11e Olympiade . Devant les yeux ébahis d’Hitler, sur le stade de Berlin, l’athlète noir américain Jesse Owens emportait quatre médailles d’or. En 2016, avant le début des épreuves, le sport a laissé la place aux questions de dopage et de corruption. Comme en 1936, la politique n’était pas loin…
Alors, pour aborder sereinement et lucidement ces 31e JO, allez vous plonger dans une salle obscure pour regarder La Couleur de la victoire (Race), le dernier film de Stephen Hopkins, fuit d’une coproduction franco-germano-canadienne..
« Nous vivons dans un monde de crises, de méfiance et d’incertitudes. Voici notre réponse olympique : Les dix-mille meilleurs athlètes du monde, en compétition les uns face aux autres, vivent pacifiquement ensemble au Village, partageant leurs repas et leurs émotions ». Par ces propos Thomas Bach, le neuvième président du Comité international olympique (CIO) s’est adressé aux membres des délégations.
Il y a quatre-vingts ans, Carl Diem, qui assumait la même responsabilité à la tête du CIO, ne tenait pas des propos différents. Et pourtant, le sommet international des rencontres sportives se déroulait dans la capitale du 3e Reich. Une ville où, depuis trois ans, les nazis s’employaient à éliminer tous ceux qui ne correspondaient pas aux canons de la race aryenne, et où flottait de partout les bannières à croix gammée, comme le relatait Noël Vandernotte, le plus jeune sportif médaillé (en aviron) lors des JO de 1936.
Entre racisme et boycott
Alors que les JO s’ouvraient, dans des rues voisines du stade, on raflait des familles tsiganes, après avoir développé une chasse effrenée aux juifs. Une violence d’état qu’Avery Brundage, membre du Comité olympique nord-américain avait pu percevoir lors d’une visite express à Berlin fin 1935. La campagne de boycott des JO battait son plein sous la houlette des organisations démocratiques, humanistes et partie prenante des communautés noire et juive, comme le Congrès juif américain.
Ce sont ces faits que la Couleur de la victoire, le dernier film de Stephen Hopkins, rappelle au fil de la biographie de l’athlète noir-américain Jesse Owens. Ce fils d’une famille pauvre de Chicago fondu d’athlétisme, était parti faire ses études à l’université de l’Ohio, pour bénéficier de l’entraîneur de l’ex-champion Lary Snyder.
Ce long métrage produit par Jean-Charles Lévy et Luc Dayan et distribué par la société La Belle company, dans une coproduction franco-germano-canadienne n’élude en rien la toile de fond d’un racisme bien présent aux Etats-Unis, y compris dans les états du Nord, et dans tous les cercles dirigeants de la société, au sein du comité olympique national et dans les universités, comme celle de Colombus, par exemple.
A quelques heures du début des JO 2016, à la sortie de la projection du film La Couleur de la victoire, quelle est la réaction des spectateurs ? Témoignage de Jean-Christophe Chaudat, un habitué de l’Amphi, le complexe familial de cinéma de Vienne (Isère).
Economie et affairisme, politique et dopage toujours présents dans le monde des compet’
« Nous vivons dans un monde de crises, de méfiance et d’incertitudes, voici notre réponse olympique : les 10 000 meilleurs athlètes du monde, en compétition les uns face aux autres, vivent pacifiquement ensemble au Village, partageant leurs repas et leurs émotions. Dans cet univers olympique, il y a une loi universelle pour tous. Dans cet univers olympique, nous sommes tous égaux. Dans cet univers olympique, nous voyons que les valeurs partagées par l’humanité sont plus puissantes que les forces qui veulent nous diviser.
Je vous lance un appel, athlètes olympiques : respectez-vous, respectez vous les uns les autres, respectez les valeurs olympiques qui rendent les Jeux Olympiques uniques pour vous et pour le monde entier », voici comment le président du CIO s’adressait aux responsables brésiliens et aux athlètes du monde entier qui avaient défilé sur la piste inaugurale.
De belles paroles qui ne pouvent faire oublier qu’il y a quelques jours, plus de 270 sportifs russes ont été exclus des Jeux en raison d’un dopage étatique organisé. Des discours lénifiants aussi dans la bouche de celui dont les avantages financiers font en ce moment la Une de l’actualité allemande. » On aimerait dire à M. Bach : le match est fini, vous pouvez partir », a lancé Ines Geipel, la présidente de l’Association d’aide aux victimes du dopage », rappelle le quotidien L’Equipe.
On sait en effet que Thomas Bach, l’ex-fleurettiste médaillé à Montréal en 1976, présent depuis le début des années 1980 dans les instances du Comité international olympique, est soupçonné d’avoir mélangé sport et affaires. Avocat de la marque Adidas et du groupe Siemens, il aurait conseillé cet acteur économique dans l’obtention de marchés de construction des installations sportives des JO de Pékin. Des actes dont il a dû s’expliquer devant le commission d’éthique du CIO.
On ne peut que rapprocher ces faits des décisions prises quatre-vingts ans plus tôt par Avery Brundage, lorsqu’il accepta de passer un marché avec le Reich pour l’édification de l’ambassade allemande aux Etats-Unis. Un contrat dont se servit le ministre Goebbels pour lui intimer l’ordre, en plein déroulement des JO, de retirer du relais 4 X 100 mètres deux athlètes juifs. Un épisode des Jo que relate le film La Couleur de la victoire.
Autant de faits similaires à huit décennies d’écart qui font réfléchir les observateurs attentifs, tel Jean-Christophe Chaudat.
Un public désabusé
Cette déception, quelle que soit la beauté des gestes sportifs dans les différentes disciplines et de la fraternité qu’ils dégagent, est aussi perceptible dans la réaction de la population.
« Nous vivons dans un monde où l’égoïsme gagne du terrain, où certaines personnes prétendent être supérieures aux autres. Voici notre réponse olympique : Dans l’esprit de la solidarité olympique et avec le plus grand respect, nous accueillons l’équipe olympique des réfugiés. Chers athlètes réfugiés : vous envoyez un message d’espoir aux millions de réfugiés dans le monde.
Vous avez dû fuir vos maisons à cause de la violence, la faim, ou juste parce que vous étiez différents. Avec votre grand talent et votre humanité, vous apportez maintenant une belle contribution à la société. Dans cet univers olympique, nous ne faisons pas que tolérer la diversité. Dans cet univers olympique, nous vous accueillons comme un enrichissement de notre « Unité dans la diversité », a martelé lors de l’ouverture le président Thomas Bach.
Les quotidiens La Croix et Le Monde rappelle opportunément dans leur édition des 6-7 août que le coût des JO de Rio a été porté à 11 milliards, à parts à peu près égales entre contributions publiques et privées. Un investissement colossal au regard de la situation des populations des favelas, mais aussi de la situation des salariés, y compris des fonctionnaires, payés au compte-goutte depuis plusieurs mois, avec un Produit intérieur brut (3,5 %) à la baisse et un chômage (11 %) qui va croissant.
Ceci explique le succès de la campagne internationale Les Jeux de l’exclusion que traduit un sondage réalisé en juillet au Brésil. Selon l’enquête de l’Institut Datafolia, la moitié de la population brésilienne est opposée aux Jeux olympiques. Une réaction populaire que les élus de Haute-Savoie, et d’Annecy en particulier, ont eu à éprouver lorsqu’ils ont avancé la candidature pour les Jeux olympiques d’hiver 2018.
De l’écran télé à celui du cinéma
Le choix vous est donc offert entre l’écran du téléviseur, de moins en moins petit, et celui des sales obscures. A la télé, vous pourrez suivre les différentes épreuves des JO des personnes valides et des JO paralympiques, et puis aussi revisiter des documentaires sur les JO de 1936 tel Les champions d’Hitler ou sur l’économie du sport et le dopage. En salle La Couleur de la victoire est à voir et revoir, mais aussi dans un autre registre L’Effet aquatique, le dernier long-métrage de Solveig Anspach, qui vous fera voyager dans les piscines entre Montreuil et Rekjavik, la France, l’Islande, Israël et la bande de Gaza.