Point de vue de Jean-François Cullafroz, journaliste professionnel honoraire, carte de presse 49272
Que n’a-t-on entendu depuis l’incendie parisien de la cathédrale Notre Dame lundi 15 avril 2019 ? Dans la semaine qui conduit à Pâques, les propos médiatiques, politiques et religieux, ont touché l’indécence. Voir des centaines de millions déversées en quelques heures, subir des appels pour la reconstruction d’un monument certes artistique et de renommée mondiale, alors que dans les rues voisines foisonnent les SDF, pour beaucoup de personnes éclairées, c’en était trop ! D’où l’appel vibrant de la Fédération des acteurs de la solidarité. Décryptage.
La Fédération des acteurs de la solidarité est un groupement qui réunit près de 900 associations nationales et régionales (Emmaüs, Secours catholique, Armée du salut, Cimade, Fondation Abbé Pierre, Secours islamique…); 90 centres de réinsertion sociale, les deux-tiers des centres d’accueil des demandeurs d’asile, 350 structures d’insertion par l’activité économique (soit environ 800 chantiers d’insertion)… Avec à sa tête, Louis Gallois, l’ex-PDG très éthique de la SNCF.
Dans le journal Le Monde
D’où l’intérêt de l’appel que ce collectif très social vient de lancer et que notre consœur Isabelle Rey-Lefebvre a amplifié dans Le Monde de ce jeudi 18 avril.
Le malaise des associations caritatives face à la générosité pour Notre-Dame
Face au flot d’argent annoncé pour reconstruire la cathédrale, la Fédération
des acteurs de la solidarité, la Fondation Abbé-Pierre ou encore l’Armée du
salut rappellent qu’elles manquent de moyens.
« Victor Hugo remercie tous les généreux donateurs prêts à sauver Notre-Dame
de Paris et leur propose de faire la même chose avec les Misérables. » Ce
tweet de l’essayiste Ollivier Pourriol, posté mercredi 17 avril et relayé
plus de 16 000 fois, a trouvé écho parmi les bénévoles et responsables des
associations qui luttent contre la précarité et la pauvreté. Ces mots
résument leur sentiment ambivalent face au flot d’argent qui se déverse pour
reconstruire la cathédrale parisienne ravagée par les flammes, lundi 15
avril en fin de journée.
« Bien sûr la générosité pour rebâtir Notre-Dame est légitime, c’est un
trésor national, souligne Florent Gueguen, directeur de la Fédération des
acteurs de la solidarité (Fas), qui réunit 800 organisations. Mais on
aimerait que cet élan aille aussi vers les gens plus démunis, la solidarité,
c’est un autre trésor national. »
La Fas rappelle qu’en 2018 toutes les associations caritatives ont connu une
réduction des dons, d’en moyenne 4,2 % selon le baromètre de France
Générosités, une baisse inédite depuis dix ans. Mais la chute a été beaucoup
plus sévère pour les fondations éligibles à la réduction de 75 % sur l’impôt
de solidarité sur la fortune (ISF) : la transformation, en 2018, de celui-ci
en impôt sur la fortune immobilière (IFI) a divisé par trois le nombre d’assujettis,
tombé de 358 000 en 2017 à 120 000 l’an passé, et fait chuter leurs dons de
54 % aux fondations, soit une perte de 130 à 150 millions d’euros.
Les associations et fondations caritatives victimes d’une chute
historique des dons
C’est ce qui a fait réagir la Fondation Abbé-Pierre : « 400 millions [d’euros]
pour Notre-Dame, merci à KeringGroup, Total, LVMH pour votre générosité :
nous sommes très attachés au lieu des funérailles de l’abbé Pierre. Mais
nous sommes également très attachés à son combat. Si vous pouviez abonder 1
% pour les démunis, nous serions comblés. » L’enterrement de l’abbé Pierre a
effet été célébré dans la cathédrale de Paris, le 26 janvier 2007.
« Urgence de combattre la pauvreté »
« On ne peut s’empêcher de penser cela quand on voit les associations qui,
sur le terrain, luttent avec de très petits moyens pour venir en aide aux
sans-abri, mais on sait les Français généreux. La générosité des grands
donateurs étant plus fragile, cela repose les questions fiscales et de la
redistribution », souligne Christophe Robert, délégué général de la
Fondation Abbé-Pierre, qui rappelle que les dons venus le plus souvent de
particuliers modestes financent 98 % de leurs actions.
Ce sentiment est partagé par Samuel Coppens, porte-parole de la fondation de
l’Armée du salut : « Bien sûr cette générosité est essentielle, mais elle
nous interroge quand on se bat au quotidien avec trois francs six sous pour
sortir les gens de la rue ; elle ne doit pas s’exercer au détriment des
gens. Nos dons se sont réduits de 2,8 % en 2018 car nous avons de petits
donateurs et sans doute encore plus en 2019. »
« Cet élan de toute la société pour rebâtir Notre-Dame est formidable, s’enthousiasme
Claire Hedon, la présidente d’ATD Quart Monde, mais on se pose des questions
sur notre capacité à faire bouger la société sur la pauvreté, à convaincre
nos hommes politiques de l’urgence de la combattre. On ne demande pas la
charité mais l’accès au droit pour tous. » Claire Hedon fait sienne la
déclaration du député Victor Hugo devant l’Assemblée nationale, le 9 juillet
1849 : « Je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu’on peut détruire la
misère. Remarquez-le bien, messieurs, je ne dis pas diminuer, amoindrir,
limiter, circonscrire, je dis détruire. »