Point de vue de Jean-François Cullafroz, journaliste professionnel honoraire, carte de presse 49272
« Notre Dame des larmes », « Notre Dame des cendres », « Notre Dame, notre histoire », « Notre Drame »… les unes de la presse quotidienne régionale et nationale, éditée sur papier ou sur Internet, débordent d’émotions depuis l’incendie de la cathédrale de Paris déclenché lundi soir entre 19 et 20 heures. Le petit écran n’a pas été en reste avec des émissions en continu. Mais la destruction partielle d’une cathédrale, fut-elle âgée de huit siècles et louée par Victor Hugo, un de nos plus grands écrivains, devait-elle engendrée un telle réaction médiatico-politique, les autorités religieuses venant apporter leur onction ? Une fois n’est pas coutume. Foin de reportage, voici la réaction, pas mesurée du tout, de la part du journaliste, chrétien pratiquant et engagé socialement que je suis, rejoint celles d’autres personnes. Des prêtres, chrétiens de base…, vers qui peu de micros et de caméras se sont tendus. Explications sur un appel à raison garder.
» Dieu est Dieu, nom de Dieu « , s’exclamait l’écrivain Maurice Clavel dans un livre resté aussi célèbre que sa sortie télévisuelle contre la télévision d’état : » Messieurs, les censeurs, bonsoir « . C’est modestement avec la même fougue que je développe la réaction qui suit.
Monument magnifique, mais vieilles pierres…
La cathédrale Notre Dame de Paris était un monument magnifique et chargé d’histoire. Celle de notre pays et de celles de voisins européens comme l’Angleterre. Mais, sur le sol hexagonal, est-elle la seule ? Que dire de celle de Reims, qui a vu sacrer les rois depuis Clovis, de celle de Chartres, « l’étoile du matin » de Charles Péguy, de celle de Rouen où ont été enterrés les ducs de Normandie, dont (Richard Cœur de Lion), de celle de Vienne où a été couronné un pape et fut dissous l’ordre des Templiers, ou encore celle de Lyon, où le pape voulut déposer le Saint-Empereur germanique, à l’occasion de conciles marquants pour toute la chrétienté ?
Au cœur de l’Ile de la Cité, l’église Notre Dame de Paris est l’expression d’un art gothique qu’un certain Roi Soleil qualifia de barbare, mais qui traduisit une nouvelle étape dans l’architecture européenne où architecture, sculpture, vitrail… foisonnèrent de beauté. Pour autant, cette cathédrale n’est pas le seul chef d’œuvre à avoir subi la proie des flammes. A Rennes, Lunéville, Nantes… leurs incendies déclenchèrent-ils un tel débordement de paroles et d’images ?
… pas des pierres vivantes
» Pour les catholiques, ce n’est pas un musée cette cathédrale, c’est un lieu vivant. Le véritable joyau de l’Église, ce sont les personnes, les hommes et les femmes, ce que nous appelons les pierres vivantes… Même si cet incendie est dramatiquement triste, le plus important, ce sont les personnes « , rappelait lundi 15 avril dans le journal de 22 heures de France Culture, Vincent Neymon, directeur de la communication de la Conférence des évêques de France. Au même instant, comme TF1, deux chaines publiques, France 2 et France Info glosaient sur le travail des pompiers, la solidité de la charpente…
Avec plus des audiences en flèche, 5 millions de téléspectateurs pour la première chaine privée et près de 4 millions pour la seconde publique, ce dramatique incendie fut pain bénit pour des soirées habituellement vouées aux séries policières, et qui avaient échappée au discours présidentiel et aux inévitables et interminables paroles de commentateurs plus ou moins experts.
Pourtant, pour agrémenter les images, les reporteurs et animateurs d’antenne se devaient de » faire feu de tout bois « , expression qu’osa un architecte des monuments historiques. Sans information historique vérifiée, mais emporté par la référence à la Vierge, on parla du Magnificat chanté à la Libération en présence du général de Gaulle (il s’agissait d’un Te Deum), d’une histoire remontant au XIVe siècle (au lieu du Xie), puis anticipant les éditoriaux de la presse écrite de mardi, on évoqua les termes de « communion », de « saint-sacrement », de « semaine sainte », de « salut », « d’espérance »et même de « martyre »… Autant de mots porteurs de sens spirituel et théologique, auxquels ne manquait plus que le terme « résurrection », puisque la Pâques chrétienne est toute proche, et qu’elle situe en cette croyance le cœur de la foi en Christ.
Comme si, après un travail légitime d’enquête mené par les journalistes sur les abus et crimes sexuels dans l’Église catholique, les responsables de rédaction avaient besoin de se faire pardonner… Et les responsables religieux, trop contents d’une telle occasion médiatique, ont emboité le pas de médias qu’ils suspectaient d’anticléricalisme quelques semaines plus tôt…
Les voix d’autres religieux
Alors, la petite voix s’éleva de Lourdes, celle d’une religieuse. Un filet de son vite disparu de l’antenne de France Info. Pourtant, elle osait dire, que cet incendie pouvait aussi être le symbole d’une purification pour son Église…
En écho, un curé de campagne, présent à Paris lundi soir, faisait part de sa réaction enflammée dans le quotidien lundimatin.
Il ouvrait son plaidoyer en ces termes : » Hier, Notre-Dame de Paris a brûlé. En son temps, le Christ nous a donné l’exemple en chassant les marchands du temple. Tous les vrais chrétiens doivent, aujourd’hui, chasser les marchands de temples du temple de leur cœur. Sans quoi ils succomberont aux manœuvres obscènes des spéculateurs en tout genre, politiciens, fraudeurs du fisc, grenouilles de bénitier, incultes en quête de racines, ou groupes pollueurs, hâtifs de tirer la couverture à eux. Qu’on rappelle aux mains qui ne deviennent généreuses qu’à la mesure de la gloire qu’elles en tirent, ces mots de vérité : « Vous ne pouvez pas servir Dieu et l’argent » (Mt 6,24) « .
Quelques heures plus tôt, les millions avaient commencé de tomber par centaines des mains de généreux mécènes, représentants des plus grosses fortunes mondiales et néanmoins dirigeants des plus grandes entreprises…
Très classiquement et dans sa posture, Philippe Martinez, le leader de la CGT, dénonçait sur France info : « Vous voyez qu’il y a des milliardaires qui ont beaucoup, beaucoup d’argent (…) en un clic, 200 millions, 100 millions, ça montre aussi les inégalités, ce que nous dénonçons régulièrement, les inégalités dans ce pays. J’aimerais connaître la position des salariés des groupes que dirigent ces PDG, à qui on dit « vous coûtez trop cher », « il n’y a pas d’argent pour vous augmenter ». Il faut aussi de la mesure » car « la misère sociale, ça continue, les drames sociaux, ça continue ».
Et les pauvres et le pouvoir de vivre ?
Dans ce concert, pourquoi la CFDT, laïcisé depuis plus de cinquante ans, a-t-elle publié un communiqué de soutien avec les catholiques. Tout en citant la corporation des bâtisseurs et les personnes aujourd’hui salariées ou bénévoles travaillant sur ces lieux, la première centrale syndicale française affirmait » toute sa solidarité avec les catholiques touchés au cœur à l’ouverture de la semaine sainte « !
Où était donc le Pacte du pouvoir de vivre, et ses 66 propositions, présenté par Laurent Berger et Nicolas Hulot début mars, et signé par dix-neuf organisations la plupart très laïques et attachées à la solidarité avec les plus démunis. Ceux-là même, que dans la foulée du concile Vatican II, le catéchisme catholique écrit à Lyon appelait « les pierres vivantes ».
Quatre questions à mes collègues journalistes pour conclure.
Qu’avez-vous fait au sein de vos rédactions respectives pour relativiser cet événement, freiner ce déferlement insensé, tracer des perspectives citoyennes ?
Serez-vous au rendez-vous de la même façon, accordant le même temps de parole et d’image, la même surface rédactionnelle lorsqu’un cyclone fera des centaines voire des milliers de morts, comme il y a peu au Mozambique ?
Situerez-vous avec justesse les dons de généreux mécènes bénéficiaires de déductions fiscales, alors même que, prétextant la suppression de l’ISF, les grandes fortunes ont commencé à déserter en 2018 les dons aux associations caritatives et humanitaires jusqu’à les mettre gravement en péril comme les Orphelins apprentis d’Auteuil.
Quand publierez-vous, comme le fait annuellement le quotidien La Croix la liste des morts de la rue (566 SDF en 2018), en protestant contre l’arrêt des mesures d’urgences dès les beaux jours revenus, alors que la pauvreté et la misère sont plus dures sous le soleil, quoi qu’ait pu en dire le grand Charles ?
La voie de la proximité
Après la lutte des Gilets jaunes qui a contraint notre profession à être plus à l’écoute de la population des régions, chères consœurs et confrères, reprendrez-vous la voie de la proximité avec près de 80 % de la population des régions, qui ne vit pas en Ile-de-France ?
Renaissance, reconstruction d’un ensemble de vieilles pierres. Redémarrage d’une profession journalistique, au sein de laquelle l’Observatoire de la déontologie de l’information (ODI), ne cesse de pointer les dérives et d’appeler à la vigilance au quotidien.
Ah ! Rabelais, Nerval, Aragon, Hugo et même Tesson, nous inspirerez-vous le souffle d’espérance qui manque cruellement à nos plumes pour pouvoir porter le fer là où il le faut ?
» Notre-Dame est bien vieille : on la verra peut-être
Enterrer cependant Paris qu’elle a vu naître ;
Mais, dans quelque mille ans, le Temps fera broncher
Comme un loup fait un bœuf, cette carcasse lourde,
Tordra ses nerfs de fer, et puis d’une dent sourde
Rongera tristement ses vieux os de rocher !
Bien des hommes, de tous les pays de la terre
Viendront, pour contempler cette ruine austère,
Rêveurs, et relisant le livre de Victor :
— Alors ils croiront voir la vieille basilique,
Toute ainsi qu’elle était, puissante et magnifique,
Se lever devant eux comme l’ombre d’un mort ! »
Gérard de Nerval
Dans la même veine littéraire et poétique, on pourrait réécouter l’émission de France 5 La Grande librairie de ce mercredi 14 avril 2019.
Je suis presque d’accord sur le contenu de ton article. J’ai particulièrement apprécié la déclaration du curé de campagne. Merci. Amicalement
Merci de mettre les pierres vivantes au cœur du débat, et d’exprimer ce que nous ressentons depuis hier.
Ah, il fallait bien un commentaire de ce style…
Moi aussi je suis catholique pratiquant et engagé; je conçois le bien fondé d’une part de ces remarques, et me réjouis qu’un catho les porte mais je ne les partage pas globalement. Je pense à l’amusant Fréderic Lenoir, qui donnait des conseils au curé de la dite-cathédrale qui ne lui demandait rien, sur l’usage d’un éventuel surplus. Ce brave garçon venait de nous dire qu’il habite en face de Notre-Dame: locataire ou propriétaire, il a donc les moyens ! qu’il s’applique déjà à lui ses conseils de générosité, et avec modestie.
Moi je suis touché de voir les déclarations de minsitre des affaires étrangères iranien, qui envoie un message cordial où il parle de « notre Dieu unique »: C’est inoui. c’est remarquable mais pas remarqué.
Moi j’ai apprécié que pour une fois sur le service publique, on ne glose pas sur le dos des croyants.
Etc…