Par Jean-François Cullafroz, journaliste
Le curé de Megève a été démis de sa charge et suspendu de son ministère le 23 mai dernier par l’évêque d’Annecy et du Val d’Arly. Cette décision qui couvait depuis trois ans a provoqué des remous bien au-delà du département de Haute-Savoie, suscitant oppositions et incompréhensions. Levons le coin du voile sous l’apparence des faits.
Jeudi 23 mai, le quotidien Le Dauphiné libéré annonçait la décision de l’évêque d’Annecy concernant le père Pascal Vesin, 43 ans, curé de Megève depuis 2004[1]. Le diocèse confirmera le lendemain sur son site Internet la mesure, et dès les messes dominicales, les fidèles de la paroisse St Anne-Val d’Arly seront informés par un communiqué détaillé de Mgr Yves Boivineau, évêque d’Annecy : le Père Pascal Vesin est démis de sa charge car il appartient au Grand Orient de France, une des composantes de la Franc-maçonnerie. Cette double appartenance est incompatible avec la foi chrétienne et ses exigences morales. Dans le même temps, l’évêque écrira à l’ensemble de ses prêtres.
Une nouvelle qui créera la stupeur, et les explications du vicaire général, le P. Alain Fournier-Bidoz envoyé en mission devant les pratiquants et la presse, n’atténueront pas les réactions. « A la fin de la messe du dimanche, et après la lecture du communiqué, j’ai rappelé le travail qu’avait réalisé notre curé, et j’ai été applaudi », témoigne Jean-Pierre Destombes, paroissien de Combloux. Un des rares catholiques acceptant de s’exprimer nommément, les autres craignant les réactions du milieu. Ainsi, une enseignante d’un établissement privé de la vallée d’Arve, qui constate que son équipe pédagogique est divisée. « Nous connaissons bien le Père Pascal et les jeunes l’apprécient beaucoup. D’ailleurs, ils sont revenus en paroisse. Mais certains collègues estiment que ce qui lui arrive est mérité compte tenu de son attitude sur le mariage des homosexuels, le préservatif… D’autres traduisent la réaction de l’Eglise catholique comme un retour en arrière. Avec les positions de l’épiscopat sur la loi sur le mariage pour tous, cela fait beaucoup », assure-t-elle.
Une mesure « médicinale »
Là où les affaires se corsent, c’est que sur le terrain de la loi Taubira, Mgr Boivineau membre du Conseil pour les questions familiales et sociales et membre du Conseil pour la solidarité de la conférence des évêques de France a été modéré. La lettre anonyme reçue en 2010 puis confirmée en 2011 par la révélation sur Internet d’une conférence donnée par le Père Vesin, et en tant que franc-maçon, au sein de la loge genevoise Mozart et Voltaire du Grand orient suisse n’a produit que des effets en 2013. Et encore, l’évêque d’Annecy a-t-il pris soin de souligner que c’est « sur ordre de Rome », et qu’avant la décision, il a envoyé trois prêtres pour dialoguer avec l’ex-curé de Megève. A l’évêché, on ajoute que ce n’est pas la franc-maçonnerie qui est visée, et que la sanction dite « médicinale » peut-être levée si le prêtre revient sur son appartenance maçonnique. D’ailleurs son salaire est maintenu au moins six mois.
« Il pourrait même réintégrer sa paroisse où bien sûr, il demanderait pardon », souligne un de ses collègues prêtres. Ajoutant que « ce qui a fait le plus mal, c’est surtout que Pascal a joué tout seul. Or, les prêtres diocésains, nous formons un presbyterium, assure un prêtre. En matière dogmatique, certains seraient enclins à appliquer avec discernement la position vaticane disciplinaire, réaffirmée en 1983 par le cardinal Ratzinger, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, avec l’approbation de Jean-Paul II. C’est d’ailleurs, alors que Benoit XVI était encore pape que la décision est tombée mi-mars 2013.
« Des chrétiens sont effectivement francs-maçons »
On peut constater que des chrétiens sont francs-maçons, car c’est avant tout la dimension humaniste qui les retient et qu’ils n’accordent pas beaucoup d’importance aux rites, développait en substance le théologien Michel Younès, maître de conférences à l’Université catholique de Lyon sur la radio RCF Haute-Savoie lundi 27 mai. « Mais pour un prêtre qui est d’abord un pasteur, ce n’est pas la même chose, car il doit être un guide et il a la charge d’enseigner », ajoutait-il.
Pour le moment, la messe n’est pas dite, car le Père Vesin ne voit aucune incompatibilité entre son ministère de prêtre et son engagement citoyen (voir interview). Cela est confirmé par des obédiences maçonniques rappelant leurs racines chrétiennes, leur référence à l’évangile de Jean, et la place de Jésus-Christ dans leurs rituels, comme l’assure Roger Dachez, professeur d’université et président de l’Institut maçonnique. La détermination reste ferme pour ce prêtre, qi n’est pas prêt à quitter la loge L’Avenir du Chablais, membre du Grand Orient. « un Chablaisien à la tête dure » selon des proches, qui fut un ailier de football talentueux, président des étudiants-séminaristes de Lyon et par ailleurs créateur d’un jumelage solidaire pérenne avecla Roumanie.
Un dossier bien embarrassant pour l’évêque d’Annecy, qui a eu à connaître deux autres départs importants ces dernières années avec le curé d’Annemasse qui s’est marié, et un jeune prêtre cheville ouvrière du synode diocésain des jeunes. Alors, président de Justice et paix-France, l’évêque d’Annecy forgera-t-il une issue ? L’aide lui viendra peut-être de Rome car de nombreux catholiques attendent du pape François, une attitude plus mesurée que celle de son prédécesseur au plan de la discipline par essence évolutive, même si le fond doctrinal ne varie pas.
Jean-François Cullafroz