Reportage réalisé pour Le Courrier (quotidien de Genève) par Jean-François Cullafroz, journaliste honoraire, carte de presse 49272
Notre envoyé spécial terminait une semaine en Grèce lorsque le gouvernement d’Alexis Tsipras a annoncé un nouveau train de mesures fiscales et sociales exigées par la Troïka. Reportage au cœur du pays, entre Péloponnèse et Thessalie, sans oublier le port du Pirée et les réfugiés.irakiens, syriens, afghans qui y sont parqués.
Vendredi 19 mai. Dans le hall de l’hôtel Orfeus de Kalambaka, au pied du massif des Méteores, Annie, une Française épouse de Drakos le patron des lieux est hors d’elle. Elle vient de regarder ERT1, la première chaine de la télévision nationale où a été annoncé le programme des nouvelles exigences de la Troïka.
« Les activités de tourisme vont être directement impactées puisque la TVA va passer de 23 à 25%. L’an passé, la saison s’était passée à peu près correctement, mais en cette fin mai, le chiffre de fréquentation est en baisse de 40 %. Alors, avec des prestations plus coûteuses, cela ne risque pas d’attirer des visiteurs », tempête-t-elle. « Et puis, il y a les images à la télévision montrant l’afflux des réfugiés. Même depuis la Suisse et la France, où j’ai de la famille, ceux qui voudraient venir ont maintenant peur et ont reporté leurs vacances », ajoute-t-elle.
Le tourisme, elle en connaît un rayon, cette hôtelière qui tient depuis dix-huit ans avec son mari cet établissement d’une centaine de chambres dont un bon tiers est fermé, et qui emploie tout juste une dizaine de personnes à temps partiel et pendant seulement cinq mois de l’année. Pourtant, dans une région très visitée à cause de ses monastères orthodoxes hauts perchés, la saison touristique fait relâche l’été car la mer est au moins à 100 kilomètres.
Austérité : un leitmotiv continu et persistant
Ces propos désappointés, voire résignés, je les ai entendu marteler pendant une semaine passée entre Péloponnèse et Thessalie, dans l’intérieur du pays comme sur la côte actuellement déserte. Par des salariés du secteur privé comme des fonctionnaires, comme Alexandre Athanasoupolos.
Alexandre Athanasoupolos est professeur de lettres en fin de carrière, dans le second lycée public de Thessalonique. Il explose littéralement quand on lui demande de parler du présent. « Cela dure depuis six ans. Chaque année, il y a de nouvelles mesures et on ne peut rien programmer quoi que ce soit. J’ai voté naturellement Tsipras, mais deux mois après, mes yeux se sont ouverts. » Il y a sept ans, cet enseignant gagnait 1 700 euros par mois avec un 13e et un 14e mois. Aujourd’hui, il touche 980 euros sans aucun supplément. Père de cinq enfants, il ne payait d’impôts, mais aujourd’hui, il doit acquitter 1 500 euros annuels. Et en plus, certains de ses enfants sont obligés de rester à la maison familiale car ils ne peuvent subvenir pour se loger ailleurs.
Encore, Alexandre s’estime-t-il privilégié, car dans le secteur privé le salaire minimum a chuté d’environ 500 euros en six ans, passant à 490 euros mensuels. Dans le même temps, les prix sont restés les mêmes. Cet enseignant très francophile s’exprime.
Ce que déclare Alexandre Athanasoupolos constitue aussi le fond des propos entendus dans un milieu rural, qui pourtant ne manque pas de ressources, les champs d’oliviers et d’agrumes qui peuplent les zones montagneuses comme les vastes plaines céréalières et légumières en sont l’illustration. Mais, ici aussi la détresse est la même.
A la campagne comme à la ville
Rencontré sur la route entre Corinthe et Epidaure, Rakis Dionisis partage cette déception. Il est arboriculteur dans cette zone très montagneuse, et soigne des dizaines d’orangers, citronniers et figuiers.
Il a installé un petit étal au carrefour de deux routes en bordure de ses champs où trône un vieux tracteur Renault. « Mes deux enfants sont étudiants et ils me disent ce qui se passent en ville. Ici, à la campagne, on peut encore arriver à vivre en s’entraidant, mais en ville, ce n’est guère possible, vu l’ensemble des charges qu’il faut assurer, dont le loyer », témoigne-t-il, avec beaucoup de gentillesse.
A Athènes justement, à l’entrée de la poste du quartier de la Plaka, le bureau affiche sur sa porte un poster bleu-blanc-rouge avec la devise française « Liberté-égalité-fraternité », œuvre d’un artiste solidaire après les attentats de Paris en novembre dernier. « Ce slogan, ce devrait être aussi notre bannière dans la situation où nous sommes, mais on voit bien que beaucoup de gens baissent les bras », assure Dimitri Chaya, employé dans une commerce de ce quartier populaire de la capitale, qui vient de porter un colis à expédier.
Il a émigré du Liban il y a quarante ans et confirme que la situation présenta va en empirant. « On ne voit pas de lumière dans le tunnel. La situation a vraiment changé. Nous n’avons pas d’argent pour vivre. On paie tout le temps, les taxes augmentent et nous ne voyons pas de perspectives. D’ailleurs, personnes ne vient investir chez nous », détaille-t-il.
Aider à investir pour faire repartir le pays
A Delphes, Tsilias Dyonisis guidait des élèves québécois dans les méandres archéologiques et culturelles de la Vieille-Europe quand je l’ai abordé. Pour lui aussi, c’est l’investissement dans des activités productives qui fait défaut. De son point de vue, au sein de l’Europe, l’Allemagne et la France porte une lourde responsabilité.
« Depuis trente ans, les banques sont venues nous prêter, mais uniquement pour que nous puissions consommer ce que nous ne fabriquons pas, pas pour nous aider à nous développer », constate-t-il dans un français impeccable. Cet ancien ingénieur-agronome reconverti dans le tourisme, connait bien l’Italie et l’Allemagne où il travaillé et établit des comparaisons. « Avec la chute du mur en 1989, l’Europe de l’Ouest s’est tournée vers l’Europe de l’Est, et nous les pays du Sud avons été abandonnés. Pourtant, ici, en Grèce, nous avons des universités et des jeunes très diplômés. Pourquoi doivent-ils partir ? Pourquoi l’Europe ne nous aide-t-elle pas à faire vivre les start-up qui émergent ? »
Et dans ce pays qui reste fondamentalement agricole, il s’étonne que l’Europe n’aide pas son pays à développer des niches de produits locaux, et préfère laisser la Chine et la Russie venir acheter le port du Pirée et rationaliser les chemins de fer.
« L’Allemagne a choisi Tispras et Syrisa car c’était le meilleur moyen de faire passer la pilule amère que nous n’arrêtons pas d’avaler à chaque bouveau plan », conclut-il dépité.
Ni Pythie pour prévenir, ni Esculape pour guérir
A Kalambaka, Georges, le fils des hôteliers est en train de passer ses examens au lycée de Karditsa . Avec qu’avec ses copains, il ne peut s’arrêter de penser à l’avenir. « Si cela continue comme cela, que pourrons nous faire ? Chaque famille a plus ou moins des parents en Allemagne. Je crois que c’est cet exil qui nous attend », se lamente-t-il.
A la sortie de la station de métro du Pirée, à côté des portes E2-E1 du port, où plusieurs milliers de réfugiés s’entassent sous de petites tentes, les rues indifférentes grouillent de monde. Nous traversons cet espace où les tentes serrent les unes contre les autres. Ici, des bénévoles de la Croix-Rouge grecque fait jouer des enfants. Là, un autre surveille un ancien et vaste entrepôt où des familles cohabitent. Plus loin, des caravanes servent pour le bain des bébés. A côte, des femmes font la lessive en riant. En face, des tentes s’abritent des intempéries, soleil et pluie sous la trémie d’une autoroute.
Combien sont-ils ? 2 000, 3 000 ? Même les responsables des deux ONG humanitaires sur le site n’en peuvent rien dire.Ils sont venus d’Irak, de Syrie, d’Afghanistan… Ils étaient employés, artisans, fonctionnaires, ou chauffeurs de bus ou de camion comme Mazné.
Les enfants sont là par centaines, et pas un n’est venu mendier lorsque nous avons fait le tour de cette zone de réclusion sillonnée par des motards de la police et gardée par trois soldats nonchalants. D’ailleurs, personne n’empêche les réfugies présents de sortir pour aller en centre du quartier du Pirée ou même d’Athènes situé à 20 minutes en métro. Mais pour aller qu’y faire ? Alors, pour tuer le temps, les jeunes houent aux cartes et nous parlent avec gentillesse.
Les personnes âgées vendent ce qu’elles peuvent pour survivre
Au Pirée, comme partout ailleurs, ce sont des personnes âgées qui tiennent des stands de vente de beignets ou de billets de loterie. A côté d’eux, Cristina, une grand-mère de près de 80 ans a disposé des chaussons pour bébés, et des pantoufles d’adultes tricotés, qu’elle essaie de vendre. Dans l’espoir de pouvoir s’acheter à manger.
Au Pirée, comme dans la plupart des villes que nous avons arpentées, derrière les façades des rues principales, il y a les artères adjacentes et des maisons délabrées, des commerces fermés, des habitations où se tapit la misère…
« Mais ce qui trompe, c’est que nous gardons le sourire. C’est notre tempérament », explique Emile Giorgitakis un habitant de Tolo, un petit port de la mer adriatique qui détaille la situation vécue dans ce petit port.
Au centre d’Athènes, au pied du Parlement où sont en train de se voter les mesures demandées par la Troïka, la place Syntagma est calme, traversée par une population enjouée qui vaque à ses occupations. Ce quadrilatère est entouré d’un flot de véhicules qui ne ralentit pas jusqu’à fort tard le soir.
Athènes : les manifs en sommeil
Alors qu’en France, les opposants à la loi El-Khomri ne désarment pas, à Athènes, les manifestations ne sont pas de mise. La dernière remonte au 1er mai où elle a été consistante. Et même, les fonctionnaires des Finances publiques, descendus dans la rue dès l’annonce des mesures fiscales à venir, n’ont réuni que qu’une poignée de syndicalistes devant le ministère de l’économie ce jeudi 18 mai dans la matinée.
En fin d’après-midi, la vie est intense, mais un seul protestataire est assis au milieu de la place, c’est un ancien ingénieur, Angelos Vouloutas.
Angelos Voloutas était cadre en entreprise. Atteint d’une grave maladie et écœuré par la situation présente, il propose des tracts appelant à consulter son blog. Un site Internet qui déploie les propos des philosophes antiques sur la société de leur temps. Au secours, Tsipras, Platon, Socrate et Aristote reviennent !
J’ai encore en tête ces enfants de l’école primaire de Larissa réunis au centre du magnifique théâtre d’Epidaure. Devant leurs enseignants et quelques touristes, ils déclamaient une des odes de l’Odyssée.
De concert, après le petit spectacle des élèves, maîtresses d’école et parents concèdent : « Quand on ne perçoit pas de perspective, notre seul recours, c’est le retour au passé. Pour les uns, ce sont les stratèges qui ont fondé notre république : Solon, Périclès… Pour nous, avec ces élèves, c’est Homère… Au moins avec eux, on peut encore rêver. »
Mais, ni la Pythie de Delphes, ni le dieu Esculape d’Epidaure ne sont plus là pour prévenir et soigner ! Alors, certains comme Grégoris déambule sur le boulevard Agiou Constantinou voisin de la place Syntagma avec une pancarte qui demande à Jésus de « sauver la Grèce ».
Les mesures que la Grèce doit adopter d’ici le 15 juillet…
- rationalisation de la TVA et élargissement de l’assiette fiscale
- réforme du système des retraites
- indépendance juridique complète de ELSTAT (organisme des statistiques publiques grecques)
- mise en œuvre intégrale du Traité de stabilité, création d’un Conseil fiscal opérationnel
- réduction des dépenses quasi-automatique si le surplus budgétaire n’est pas suffisant
… puis le 22 juillet et à moyen terme…
- adoption du Code de procédure civile, soit « une refonte majeure des procédures et arrangements pour le système de justice civile », afin d’accélérer le processus judiciaire et d’en réduire les coûts
- aligner ses lois bancaires en ligne avec celle du reste de l’Union européenne.
A moyen terme, le gouvernement devra réformer les retraites, mettre en place une clause « zéro déficit » d’ici le mois d’octobre, adopter de nombreuses mesures de libéralisation de l’économie, avec un calendrier précis, y compris pour le travail du dimanche, les périodes de soldes, la propriété des pharmacies, le marché du lait, les boulangeries, et l’ouverture de professions réglementées comme le transport en ferry, privatiser le réseau de transport d’électricité (SMAIE), à moins que des mesures équivalentes soient trouvées en terme d’amélioration de la concurrence :
- concernant le marché du travail, la Grèce devra procéder à la « modernisation » de la négociation collective, du droit de grève et de licenciement
- renforcer le secteur financier, améliorer la gouvernance des banques, notamment en éliminant toute possibilité d’ingérence politique
Ce reportage reflète des éléments de la situation en Grèce.,qui ne m’étonne guère
Ce peuple a été trompé par son gouvernement avant son entrée dans l’Europe ,il n’était pas prêt
Maintenant ce sont les Grecs qui payent le prix fort , pour les abus et les faux antérieurs .
ils payent la note d’une entrée dans une Europe qui n’est pas celle à laquelle ils aspiraient : L’Europe des peuples .Mais c’est l’Europe de la Finance et des Loobbys unis pour le profit des plus riches !!.
Ce n’est pas cette Europe là ,non plus ,que nous attendions nous aussi en France ..
l’Espérance même dans les gouvernements dit socialistes ,. n’est plus au rendez vous.
Ils nous ont fait des promesses et nous trahissent avec une économie sociale libérale,avec des cadeaux au Medef sans contre partie.
Mais nos idéaux de solidarité ,de justice et de fraternité demeurent.
Croyons encore dans un avenir meilleur !!!!!!!