L'écume d'un jour

Envoyé spécial : Jean-François Cullafroz, journaliste

Si l’été affiche une magistrale canicule, l’automne aussi promet d’être chaud à Digne. en effet, la capitale des Alpes de Haute-Provence est l’un des deux chefs lieux départementaux à ne plus être relié au réseau SNCF. et certaines associations (dont Volontés citoyennes) comptent bien se servir du tremplin des futures campagnes électorales pour agiter le chiffon rouge. Car revenu à Paris, l’ancien maire et énarque Jean-Louis Bianco vient de rendre un rapport au gouvernement qui va dans leur sens. Le tout-TGV, prôné depuis les années Giscard toucherait à sa fin et laisserait place aux déplacements régionaux, priorisant la proximité et le développement local. Avec les échéances municipales, européennes et régionales entre 2014 et 2015, le Comité d’action Digne Val Durance se prend à espérer de voir se concrétiser enfin un changement en matière de desserte ferroviaire.

Lorsque les curistes arrivent à Digne-les-Bains, ou les touristes venus pour le 67e Corso de la lavande, c’est une banderole prônant le retour du train qui les accueille. Les plus amateurs du rail se seront d’ailleurs étonnés que pour atteindre cette si belle ville, ils aient dû quitter le train pour monter dans un bus à Aix-en-Provence, Sisteron ou Veynes. Une incompréhension manifeste, alors même qu’une voie SNCF existe toujours et atteint l’entrée du centre-ville.

Après vingt ans de désactivation…

« La ligne était en balance depuis longtemps, mais c’est finalement en 1991, que la liaison Digne/Château Arnoux-St Auban a été désactivée », soulignent les membres du Comité d’action Digne-Val de Durance. Ce collectif associatif, au nombre desquels on compte la Fédération nationale des usagers des transports (Fnaut), la Confédération paysanne et la locale « Volontés citoyennes« , a lancé il y a neuf mois une pétition. Pour l’heure, plus de 6 000 signatures demandent la réactivation de la ligne ferroviaire entre Digne et St Auban-Château Arnoux.

Car ce sont à peine 22 km qui sont à remettre en service après des travaux de ballast et de signalisation. Et cela paraît possible, à l’instar de ce qui a été fait, suite à une action vigoureuse au milieu des années 1980, pour sauver les Chemins de fer de Provence et le parcours à voie étroite entre Nice et Digne. Une belle époque pas si lointaine, où l’on pouvait partir de Grenoble, Briançon ou Gap et profiter en toute quiétude, grâce au transport par train, du paysage d’une beauté extrême. « Le train des Pignes a été sauvé, alors pourquoi pas la ligne entre Digne et Aix, Marseille, Avignon, Grenoble, Gap et Briançon ? », s’interrogent les défenseurs du retour du train SNCF.

Témoignage de Jean Armand, citoyen du Brusquet, hameau du Mousteiret, président de l’association « Volontés citoyennes ». Un homme libre de pensée qui n’a pas sa langue dans sa poche. Ecoutez plutôt.

Un indéniable intérêt général

Depuis 20 ans, la liaison ferroviaire Digne-St Auban est suspendue. Des cars remplacent plusieurs fois par jour le train. Une étude a été menée en 2007 par la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur en charge des transports de proximité avec le Conseil général des Alpes de Haute-Provence. La réponse est claire :  jusqu’à 900 voyageurs par jour concerneraient l’ensemble des gares de la ligne. Depuis, les habitudes se sont modifiées et la population a confirmé sa préférence pour les transports collectifs.

D’autant que la nationale 85, dite « route Napoléon », est étroite et souvent surchargée. « Plus de 80 % de la population de la vallée de la Bléone se trouveraient à moins de 2 km d’une gare. La ligne Digne-St Auban peut jouer un rôle majeur dans la desserte de ce territoire », soulignait cette étude. Une question posée au gouvernement par Christophe Castaner, député maire socialiste de Forcalquier, a généré au printemps une réponse du ministre concerné, attestant que l’objectif sera « la recherche de la meilleure qualité de service rendu aux usagers à des conditions économiques satisfaisantes ».

(© Pierre Nouvelle)

Pour les associations fédérées au sein du Comité d’action Digne-les-Bains Val de Durance, l’affaire est entendue. La réactivation de la ligne ferroviaire est manifestement d’intérêt public et général et améliorera les liaisons avec Aix-en-Provence, Avignon, Marseille, Gap, Briançon, Grenoble et Nice. James De Cicco, secrétaire de ce collectif témoigne de cette nécessité.

Une nouvelle Arlésienne ?

Mais une question se pose légitimement : en période de budgets publics revus à la baisse, remettre en service une ligne de train arrêtée depuis deux décennies, est-ce réaliste ? D’autant que le lobby routier n’a pas baissé les bras. A défaut du prolongement de l’autoroute A 51 jusqu’aux portes de Digne, d’aucuns se mobilisent pour l’élargissement de la nationale 85.

« Ce sont des vues à court terme, soutiennent les partisans du rail, soulignant que certains élus locaux ne prennent pas assez en compte les questions économiques (augmentation du prix des carburants notamment), ni les questions écologiques (réchauffement climatique). Sans oublier le dossier du développement local et de la solidarité entre pays d’un même territoire régional.

« Notre territoire est une mine de richesses pour la Provence, avec son château d’eau, source de vie et d’énergie avec la Durance, le Verdon et leurs affluents. la Région Provence-Alpes Côte d’Azur peut aussi affirmer en retour sa solidarité », développe Sylvain Liautard, élu local et fonctionnaire territorial. Pour ce spécialiste de cartographie au sein de la communauté des communes Lubéron-Durance-Verdon et représentant de la Fnaut, la réactivation du tronçon Digne/Château Arnoux-St Auban n’est pas une nouvelle Arlésienne. elle pourrait tout à fait trouver sa place dans un schéma global des transports régionaux. Souhaitant que Digne-les-Bains devienne une plate forme multimodale, il argumente.

Le rapport remis au printemps par l’ex-maire de Digne, Jean-Louis Bianco, a été pris en compte par le gouvernement début juillet. Il prévoit des budgets conséquents. Ainsi, des projets pourraient être mis en œuvre s’appuyant sur une prévision de 28 et 30 milliards d’euros d’investissements d’ici à 2030, grâce à l’augmentation de 400 millions d’euros par an des ressources de l’Agence de financement des infrastructures de transports de France. Face à cela, la réactivation du tronçon au départ de Digne coûterait moins de 100 millions d’euros, bien au delà des perspectives beaucoup plus coûteuses, tracées par Réseau ferré de France (RFF). Un état dans l’Etat paradoxalement peut enclin à voir circuler des trains sur de petites lignes.

Les élections de 2014-2015, un tremplin

Avec des arguments dans leur musette, les partisans du rail auront à partir de cet automne plusieurs registres sur lesquels pianoter. D’abord, la préparation des élections municipales et européennes pour 2014, puis les régionales de 2015. Ensuite, la loi sur la décentralisation qui permettra aux Régions de maîtriser les transports dans leur globalité et de poursuivre la gestion des lignes régionales.  Enfin, le contrat de plan Etat-Région 3014-2020 sera en cours d’élaboration, et l’harmonisation et le développement des transports y auraient naturellement leur place.

Dans ce cadre, l’exemple du Train des Pignes sera à méditer.Déjà propriété de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur, la ligne fraîchement rénovée, sera exploitée directement début 2014, par la collectivité publique en lieu et place de Véolia à qui elle avait été déléguée. Alors, on se prend à rêver, avec la réouverture du tronçon Digne-St Auban, pourquoi ne pas ajouter le rail de la voie étroite, et permettre à chacun de relier St Auban-Château Arnoux et Digne à toutes les villes importantes de cette région méditerranéenne ? Et ne pas laisser ce trajet aux seules offres touristiques, si sympathiques soient-elles du vélo-rail…

Au sein de la municipalité dignoise, l’adjoint Europe écologie-Les Verts, Philippe Berrod est un fervent soutien du retour du rail. Les associations  peuvent aussi compter sur le soutien de sa collègue Colette Charriau, elle aussi élue dignoise et par ailleurs conseillère régionale, ainsi que du vice-président régional aux transports Jean-Yves Petit , aussi vert qu’eux deux. Affaire à suivre.