Reportage de Jean-François Cullafroz, journaliste honoraire, carte de presse 49272
J’ai rencontré David Scheiz sur la place de mon village, à Ampuis dans le Rhône. Il était 18h30 ce lundi 3 août et la journée avait été torride. Ce Suisse alémanique venait de parcourir une trentaine de kilomètres. Il avait traversé les terres froides dauphinoises et avait admiré la cathédrale de Vienne (Isère). 25-30 km est son lot quotidien depuis son départ d’Einsiedeln dans le canton de Schywtz il y a deux semaines et demi. Extrait d’une rencontre entre deux marcheurs de Compostelle.
Avec son lourd sac à dos posé à ses pieds, je l’ai d’abord pris pour un routard, un jeune comme on voit pas mal l’été dans les rues de nos villes, et qui font la manche pour poursuivre la route. En fait, assis à la porte de l’agence postale locale, il se reposait. Nous avons engagé la conversation, et nous l’avons poursuivie une heure durant, attablés au café voisin. Il était en route vers Sant Jakob, entendez par là St Jacques de Compostelle, Santiago de Compostela pour parler en gallico-castillan…
Sur la carte routière : le Puy, Conques, Moissac, Condom et la vallée de l’Adour
Nous avons échangé autour de sa carte routière et d’un guide Ouest France, particulièrement bien rédigé. Nous avons survolé la voie partant du Puy : le plateau aveyronnais de l’Aubrac, Conques, Rodez, le Causse blanc, Moissac, le Gers et la plaine de l’Adour. Des images me revenaient de ce périple entamé il y a treize ans. Grâce à lui, j’ai voyagé en cette fin d’après-midi sur le Chemin de Compostelle…
Naturellement, nous nous sommes retrouvés le lendemain matin à 9h30 à 12 km de là, dans le village de Chavanay (Loire). Il m’attendait, assis à la porte de l’église. Après des jours de canicule, le ciel était gris, la température voisinait 25°, des nuages noirs menaçaient, mais un habitant de cette commune située entre vallée du Rhône et massif du Pilat, nous a annoncé que le ciel redeviendrait bleu dès l’après-midi. Avant le retour des grosses chaleurs et peut-être des orages aoûtiens
Après une boisson prise au Café de la Halle, David s’est un peu livré, laissant percevoir ses motivations pour effectuer pas loin de 1 800 kilomètres… Mis en confiance par ma connaissance de ce chemin que j’ai accompli en équipe entre 2002 et 2008 (Ultréia ! Je suis arrivé 14 août 2008 à Santiago)
Ce soir, après avoir traversé Pélussin et Bourg-Argental, David sera à Mautfaucon ou Tence en Haute-Loire. Il était ravi de savoir que là-bas la forêt était reine. « C’est pour dormir tranquille », m’a-t-il expliqué. Demain, il franchira les portes de la vieille ville du Puy-en-Velay, mais il ne compte ni aller à la traditionnelle bénédiction des pèlerins donnée par l’évêque, puis l’envoi vers le grand large, et la célèbre descente des marches vers la grande rue pavée qui défile devant les dentelières attendant les touristes..
La Via Podiensis, sans credencial ni gîte de pèlerins
Ensuite ce sera la Via Podiensis qui attaque le plateau, complètement brûlé à cette époque. difficile de distinguer dans la broussaille quelques plants de lentilles vertes. Il ira ainsi jusqu’à St Jean-Pied-de-Port, mais au lieu de passer le col de Roncevaux et de parcourir la désertique Meseta, il a choisi de découvrir le Pays basque et le Cap Finisterre et de la cité du saint matamore en longeant la côte atlantique.
Pour David, pas question de credencial, ce passeport que l’on fait tamponner à chaque étape, et qui vous donne droit à l’arrivée à un parchemin diplômé.. Pour peu que vous vous soyez arrêtés dans une paroisse, ou dans un accueil des pèlerins pour les plus religieux, ou à la mairie et au bureau de tabac pour d’autres. « Je fais ce chemin pour moi, cela suffit que moi, je l’ai fait », explique-t-il à l’ancien pèlerin que j’ai été, attaché à ne manquer de faire viser aucune étape.
Un chemin au cœur d’une histoire européenne…
Nous n’avons pas parlé des origines du chemin, de l’ermite Pelage, du roi Alphonse II des Asturies ou de l’évêque Godescalc, ni des pèlerinages qui consacrèrent le Camino francès. Pourtant, avant de repartir, ce jeune homme amoureux de l’Histoire a tenu à me situer l’histoire de la Confédération, partie de la réunion des trois cantons de Uri, de Schwytz et de Nidwald unis contre l’empereur austro-hongrois Rodolphe. La bataille (schacht) bei Morgarten dont on célèbre aujourd’hui les 700 ans, puis les bienfaits de Napoléon 1er qui a suscité la consolidation de son pays. » Le 1er août, c’était notre fête nationale et, le soir, j’ai fait un feu sur le chemin », précise-t-il.
Ces considérations sur l’histoire suisse ne l’empêche pas de se déclarer spontanément européen. Même s’il trouve qu’à Bruxelles, on devrait plus laisser place à la subsidiarité citoyenne, à l’instar de sa confédération qui laisse libre court à ses cantons de mener leurs affaires internes et à la population de mettre en œuvre des initiatives. « La démocratie ne s’use que si on ne s’en sert pas ! « , conclut-il avec humour.
Le clocher de Chavanay vient de sonner 9 heures, il est temps de prendre la route, une voie reconnue par le Conseil de l’Europe et l’Unesco ! David a promis d’envoyer une carte quand il sera à Santiago. Je vous en reparlerai alors.