Le même jour, je reçois l’arrêt de la Cour de cassation confirmant le non lieu pour M. Pellerin sur le dossier des cancers de la thyroïde liés à l’explosion nucléaire de Tchernobyl et l’arrêt de la Cour d’appel de Chambéry relaxant Novergie dans le dossier de l’incinérateur de Gilly-sur-Isère. Ces deux arrêts sont significatifs de la faillite complète du droit pénal de l’environnement en France. Thierry Billet, avocat annécien et défenseur des victimes de la pollution à la dioxine dans cette vallée analyse le verdict du procès et ses conséquences sur le plan du droit et les poursuites éventuelles des pollueurs.
A force de tordre les textes pénaux existants pour essayer de faire rentrer dans ce cadre les catastrophes environnementales qui mettent en cause la santé publique, on multiplie les procédures judiciaires vouées à l’échec. Le droit pénal s’apprécie de manière stricte et nous avons atteint les limites de « l’imaginativité » des avocats des associations de victimes pour essayer de pallier l’absence de texte adapté à la protection de la santé publique et en particulier des riverains des usines polluantes.
Alors que le droit civil fait des avancées sur ces sujets (cf. la faute inexcusable de l’employeur reconnue pour un salarié exposé au goudron, ou la reconnaissance d’un préjudice d’anxiété pour les salariés non malades exposés à l’amiante), le droit pénal confirme décision après décision que le droit de polluer est ouvert à tous dès l’instant où l’apparition des symptômes des conséquences de la pollution sur la santé humaine est décalée dans le temps… Ce qui est la cas le plus fréquent.
Le droit pénal peut traiter les accidents car les conséquences de l’infraction sont immédiates : il ne peut pas traiter les maladies au long cours et notamment les cancers !
Réformer le code pénal…
Poursuivre les responsables quand la maladie est avérée veut dire poursuivre le pollueur 25 ou 30 ans après les faits : c’est ridicule. Le poursuivi a alors atteint souvent un âge canonique, les preuves ont disparu… Il faut donc réformer notre code pénal et y introduire une infraction claire sanctionnant l’exposition à un risque différé, notamment pour les produits cancérogènes, reprotoxiques et mutagènes. Tant que nous n’aurons pas ce texte, les avocats et les juges du siège qui ont à trancher ces dossiers seront démunis.
Quand, en plus, comme dans le dossier de Gilly-sur-Isère, l’action publique qui devrait être menée par les procureurs est, au contraire la cible de ceux-ci, qui cherchent par tous les moyens à protéger le pouvoir politique en place, cela devient une tâche surhumaine. J’ai encore en tête, la phrase du procureur Perret à Albertville nous disant fièrement qu’il était « l’allié objectif de M. Gibello », président du syndicat mixte qui exploitait l’incinérateur de Gilly-sur-Isère et ancien maire d’Albertville. Quand, de surcroît, le dit Syndicat mixte se dissout, alors qu’il est mis en examen par le juge d’instruction, qu’il échappe de ce fait aux poursuites pénales, et que ces élus, de tous bords politiques, déclarent la main sur le cœur qu’ils ne l’ont pas fait volontairement, il n’y a plus qu’à déchirer sa carte d’électeur quand on habite dans le bassin albertvillois.
…ou sombrer dans la farce
Quand le gouvernement de droite refuse l’agrément à l’association de victimes parce qu’elle n’est pas victime d’un « accident », mais d’une pollution au long cours et que cette décision n’est pas susceptible de recours, on atteint les limites de la farce.
Bref, si la ministre de la Justice et les groupes parlementaires verts veulent faire œuvre utile, ils peuvent s’atteler à cette tâche qui ne nécessitent pas un effort politique insensé. Mais comme parallèlement, ils viennent d’autoriser un an de plus le bisphénol A, qui est un cancérogène avéré, on peut craindre véritablement que cela ne les préoccupe pas. Heureusement, ma devise pourrait être que « le pire n’est jamais sûr ». Et il faut donc se battre et se battre encore pour que la vie ait un sens.
Thierry Billet