Par Jean-François Cullafroz, journaliste
Mais qu’est-ce qui fait courir certains médias ? Et qu’est-ce qui motive certains collègues ? Trois jours après avoir regardé le « 20 heures » de France 2 du lundi 5 août, je ne décolère pas. Et après avoir revisionné l’interview de la ministre de la Justice, l’indignation, ressentie à chaud, reste intacte. Explications.
Il m’arrive souvent de réagir au traitement d’une info par un collègue, et puis la nuit portant conseil, de garder ensuite mes sentiments pour moi. Mais là, pas moyen !
Une interrogation récurrente et des questions non posées
Le cas particulier de trois condamnés, dont l’exécution de la peine a été différée par les magistrats de Chartres, a fait la « Une » lundi 5 août du journal télévisé (JT) de France 2. Tout le monde le sait, les prisons sont surpeuplées, et la dernière loi pénitentaire présentée par Rachida Dati en 2009, incite au discernement pour les courtes peines de primo-délinquants. Aussi, en application de la loi, en ont décidé les magistrats de Chartres au vu des peines mineures relatives aux infractions constatées : non-exécution de travaux d’intérêt général pour l’un, rébellion envers les forces de l’ordre pour l’autre (un conducteur ivre dont le véhicule a été saisi), pour le troisième pour violence avec arme (non connue, mais en tout cas ni un couteau ni un pistolet supposant un permis).
Alors, cela vaut-il que tout l’entretien avec la ministre ne porte que sur un point : le laxisme supposée de la justice et de la garde des Sceaux ? Question posée et reposée de façon lancinante par le journaliste chargé de la présentation du journal, notre confrère Julian Bugier. Quand a-t-il été question des conditions d’incarcération, dont pourtant France 2, comme les autres médias, parlait il y a quelques mois à propos des Baumettes ? Quand a-t-on parlé de la nature des infractions ou délits les plus courants ? Quand a-t-il été dit que la criminalité est en baisse ? Quand a-t-il été mis en lumière la ségrégation sociale dont les prisons sont l’illustration ? Pourquoi les réactions choisies (UMP et PS) en opposition à Christiane Taubira n’émanaient-elles que d’hommes ? Pourquoi ce fait n’a-t-il pas été relevé dans les sujets accompagnant l’entretien avec la garde des Sceaux ? Pourquoi ne pas s’être demandé si la charge des députés UMP n’avait pas un lien avec le vote de la loi sur le mariage pour tous qu’a soutenue jusqu’à la dernière minute Christiane Taubira ?
On ne peut que s’étonner de ce traitement de la ministre, au vu de l’interview avec Yannick Agnel qui clôtura cette même édition. La bonhomie était alors de mise et aucune question par trop gênante (comme sur le dopage dans le sport) ne fut posée. Les mauvaises langues diront (et le JT de 13 heures du mardi 6 août pourrait les conforter) que titulaire des droits de retransmission des Mondiaux de natation, la chaîne publique était passée de l’information au « partenariat » complaisant.
Service public : un devoir d’exemplarité
Nul doute que le Front national ayant le vent en poupe, et l’UMP lui emboîtant le pas, la question de la sécurité sera un des éléments des prochaines campagnes électorales. Alors, personnellement en tant que journaliste, j’attends que la profession fasse son travail, c’est à dire recherche avec honnêteté et rigueur,des informations, les mette en forme et les transmette avec célérité au public, en les replaçant dans leur contexte et dans une perspective. Comme tous les autres médias, mais je dirai encore plus qu’eux car le service public a un devoir d’exemplarité. On peut attendre qu’il soit à la pointe de l’information, et non pas surfe sur la vague du sensationnel. Comme si pour regagner des parts de marché publicitaire et des recettes, il fallait courir après une audience supposée. On peut espèrer que la chaîne phare et ses JT ne laisseront pas le soin aux petites sœurs de ce grand groupe (à l’instar de France 5 et de son émission fort documentée du mercredi 7 août).
Il ne suffit pas que figure dans un récent accord d’entreprise la référence explicite aux chartes de déontologie, faut-il encore que de bonnes pratiques en découlent ! Année après année, le public affirme son mécontentement avec le travail journalistique, et le manifeste par un désaveu que traduit notamment le chiffre de ventes de la presse écrite. Mais radios et télévisions ne sont pas épargnées comme le montre le baromètre annuel TNS Sofres-La Croix. Et les journaux télévisés de l’été de France Télévisions renforcent malheureusement cette tendance. Dommage ! Heureusement, La Croix, Le Monde et Libération parmi d’autres, ont sauvé l’honneur de la presse nationale. Bravo !
Bravo – Bernard