Par Jean-François Cullafroz, journaliste, carte de presse honoraire 49272,
envoyé spécial du Courrier (quotidien de Genève)
A Angoulême, pour la 42e édition, toute la ville était BD. Y compris le temple protestant qui accueillait une exposition, et dans trois églises catholiques où les dessinateurs dédicaçaient les ouvrages qui étaient en vente. Le Jury œcuménique de la BD a décerné son prix 2015 à Amazigh de Mohamed Arejdal et Cédric Liano. Une harmonie remarquable alors même qu’au bord de la Charente, on ne parlait que de Charlie Hebdo, des assassinats et de la caricature de Mahomet. Une caricature qui a fait l’objet d’une censure tout à fait inédite par le très catholique patron du premier quotidien régional français, le breton Ouest-France. Plongée dans les relations contradictoires entre foi chrétienne, BD et caricature.
La censure du quotidien Ouest-France
Quand l’évêque, en l’occurrence Mgr Claude Dagens, se trouve être membre de l’Académie française, il n’est pas anormal que les églises catholiques fassent bon accueil à la bande dessinée et à la caricature. La cathédrale, les églises st Martial et St André ont donc accueilli largement la création artistique, sans tabou, ni censure quant aux sujets abordés. Le 30 janvier, par exemple, le débat portait sur la coexistence entre foi chrétienne et engagement militaire. Un débat vieux comme l’empire romain, mais encore actuel, à l’aune de l’arme atomique.
Cette ouverture aurait bien mérité de se déplacer jusqu’à Rennes. Là en effet, au lendemain de l’assassinat des journalistes de Charlie Hebdo, François-Régis Hutin, le PDG de Ouest-France a diffusé par les soins de la rédaction en chef une note de service interdisant à tous les collaborateurs, (journalistes et correspondants locaux de presse) de diffuser des photos de la Une du journal des survivants. Motif : elle pourrait heurter la sensibilité des lecteurs, musulmans ou non. Le sang des journalistes n’a fait qu’un tour et la CFDT n’a pas manqué de dénoncer cette censure.. Une attitude intolérable pour les salariés de la part d’un patron de presse qui affiche ses convictions chrétiennes et ne les a pas cachées lors de la contestation catholique de la loi sur le mariage pour tous. Pourtant, à Ouest-France la charte déontologique est exemplaire à plus d’un titre, et la censure est vraiment une innovation.
Les protestants plus à l’aise avec la liberté de critiquer
Du côté protestant, la caricature n’est pas toujours bien accepté, mais n’empêche le temple de l’Eglise protestante unie de France d’Angoulême a été le théâtre de contes, conférences, visites guidées thématiques. Jean-Pierre Molina en était un des acteurs, avec des membres angoumois de la paroisse.
Jean-Pierre Molina est un pasteur de l’Eglise protestante unie de France. Depuis toujours, il dessine, et après ses études universitaires, il a concilié ministère pastoral, dessin et caricature. Ce fut le cas avec les équipes ouvrières en Pays de Montbéliard, puis dans le cadre de la Mission populaire évangélique pendant un quart de siècle à Paris, et au fil de différentes paroisses. Membre du Jury œcuménique de la bande dessinée d’Angoulême, il exposait cette année pour la première fois dans le cadre du temple protestant. BD, caricatures, fresques se côtoyaient.
Le crayon acéré, Jean-Pierre Molina pose à la fois le trait là où cela fait mal, mais aussi sait faire sourire, voire tout bonnement illustre des passages de l’Ecriture biblique à des fins de pédagogie.
Après cette première angoumoise, Jean-Pierre Molina sera l’un des auteurs qui exposeront à Paris courant mars 2015 dans le cadre de la faculté de théologie protestante du boulevard Arago. Devant la caméra de Jean-François Cullafroz, il explique comment il concilie foi en Jésus-Christ et caricature.
BD, étudiants et grand public : des passerelles de liberté
Responsable de l’Atelier protestant au sein de la Faculté libre de théologie protestante de Paris, le pasteur Patrice Rolin est le maître d’œuvre de l’exposition Traits d’esprit : des image pour ne pas se prosterner. De nombreux dessinateurs seront là, dont Piem et Charb par la grâce de ses dessins. Stéphane Charbonneau avait en effet donné son accord dès cet automne pour être exposé dans cette enceinte religieuse, et avait même accepté de participé à un débat sur le thème Dessins et blasphèmes.
Traits d’esprit : des images pour ne pas se prosterner est une manifestation à laquelle bien sûr les étudiants de la faculté de théologie seront conviés. Mais l’initiative est très largement ouverte au grand public pour des rencontres originales et sans doute prometteuses, tant le sujet de la caricature et de la foi religieuse reste vivace.
Entre le 4 et le 28 mars, conférence, rencontre, table ronde se succèderont. Le 7 mars, autour des caricatures anti-juives et anti-chrétiennes dans l’Antiquité, le professeur émérite Jacques-Noël Pérès donnera une conférence.Le 12 mars, un sandwiche-débat permettra de dialoguer avec Piem. La semaine suivante, le 18 mars, membre du jury œcuménique de la BD d’Angoulême et des dessinateurs distingués par ce prix entreront en dialogue. Enfin, le jour de la clôture, dessinateurs et théologiens confronteront leurs approches autour du blasphème.
A Angoulême, entre deux rencontres avec des dessinateurs, Patrice Rolin, animateur de l’Atlier protestant, a présenté le but qu’il poursuivait en montant cette exposition au sein d’une faculté de théologie. Une interviewe réalisée par François Dalla-Riva que vous retrouverez bientôt sur cette page..
Renseignements :Patrice Rolin : 06 72 36 19 13 et contact@latelierprotestant.fr
Un petit nouveau suisse dans le monde de la BD
Le dessinateur suisse Joli sera un des invités de Traits d’esprit : des image pour ne pas se prosterner. Chrétien évangélique venu récemment à la BD, que pense-t-il de ce débat caricature et religion ? Voici la réponse ouverte de cet Helvète, auteur de la BD Sam et Salem. Lausannois, Joli fait ici sa première expérience de bande dessinée à partir de dix années vécues en Mauritanie. L’aventure de Sam et Salem, c’est un peu de son histoire personnelle qui met en scène la rencontre d’un musulman et d’un chrétien, d’un Africain du Nord et d’un habitant de l’Europe de l’Ouest.
Joli a un réel talent, une attitude réservée et respectueuse. Son second album se déroulera en Suisse. De retour au pays, Sam accueillera Salem et pénètrera le onde des demandeurs d’asile (« requérants d’asile » selon la terminologie des bords du lac de Genève). En attendant cet ouvrage qui promet encore des traits vifs, des couleurs joyeuses pour illustrer un sujet brûlant, on peut découvrir la démarche de Joli sur son site Internet : www.bechir.org.
Le pont de vue d’un journaliste africain
Depuis bientôt un mois, Moussa Sanon a pris ses quartiers dans une résidence universitaire et il a commencé ses études de master à l’université Lyon2. Il précise comment il a ressenti depuis Ouagadougou, en territoire africain de l’Ouest, la question de la liberté d’expression en général et de la presse en particulier. Il précise aussi comment aujourd’hui son opinion a évolué, et comment la prudence reste de mise dès que l’on aborde la question de l’Islam, d’autant plus sur une chaîne publique de radio-télévision.. Des propos recueillis par François Dalla-Riva.
Prix du 42e festival de la BD : la culture arabe honorée
Comment en aurait-il pu aller autrement ? A Angoulême, la réprobation était totale concernant les pratiques dévoyées de l’Islam qu’a manifesté l’assassinat de dix-sept personnes, journalistes et dessinateurs, policiers et membres de la communauté juive, entre le 7 et le 9 janvier à Paris. Mais comment ne pas aussi remarquer que ce sont es BD en lien avec la culture et le monde arabe qui ont été honorés aussi bien par le jury officiel du festival d’Angoulême qua par le jury oecuménique.
Comme le rappelait l’édition du lundi 2 février 2015 du quotidien genevois Le Courrier le Fauve d’or du meilleur album du 42e Festival d’Angoulême a été décerné dimanche 1er février à Riad Sattouf pour « L’Arabe du futur: une jeunesse au Moyen-Orient (1978-1984) » (éd. Allary), un roman graphique tendre et hilarant sur son enfance entre Paris, la Libye de Kadhafi et la Syrie d’Assad. Par son style simple mais d’une grande puissance expressive, proche du dessin de presse, émaillé de légendes pleines d’humour, Riad Sattouf se situe dans la veine d’une Marjane Satrapi (« Persepolis« ) ou d’un Guy Delisle, qui utilisent le récit décalé pour mieux faire comprendre le réel.
Son album, un des succès de l’année 2014, a déjà été tiré à 150.000 exemplaires. Prolifique et éclectique, l’auteur, qui a dessiné pendant dix ans « La Vie secrète des jeunes » dans Charlie Hebdo, a aussi publié de nombreux autres albums, comme « Pascal Brutal » ou « Ma circoncision », et réalisé le film « Les beaux gosses » en 2009.Le festival avait déjà remis jeudi son Grand Prix au célèbre auteur de mangas Katsuhiro Otomo, créateur de la série culte Akira.
Comme l'(explique la maison d’édition Steinkis, cette BD est l’histoire de Mohamed, un jeune Marocain,qui entreprend clandestinement, comme tant d’autres, le voyage vers l’Europe. Cette traversée, si elle échoue, n’en est pas pour autant un drame, et ce qui lui apparaît d’abord comme un cauchemar – traversée périlleuse, arrestation, évasion, prison, expulsion et retour au Maroc – pourrait même le conduire vers un rêve…
Car ce n’est pas un retour à la case départ. Cette expérience provoque une prise de conscience, et Mohamed va reprendre ses études, intégrer une école d’art et peu à peu émergera l’artiste aujourd’hui reconnu internationalement.
A noter les dernières parutions des éditions Steinkis : Abraham Lincoln, l’homme qui a aboli l’esclavage aux Etats-Unis, une BD signée Doreen Rappaport et Kadir Nelson, et L’Algérie, c’est beau comme l’Amérique de Olivia Burton et Mahi Grand.