Reportage de Jean-François Cullafroz, journaliste professionnel honoraire, carte de presse 49272
Mercredi 1er mars 2018, plus de 200 personnes ont assisté à la présentation officielle du livre Lyon en luttes dans les années 68 (Presses universitaires de Lyon) dans le Grand amphi de l’université Lyon 2. Fruit d’un long travail d’un groupe d’enseignements et de chercheurs réunis sous le label Collectif de la Grande Côte, cet ouvrage montre sous de nombreux que ce qu’on appelle les événements de mai 68 ont revêtu à Lyon et dans le Rhône une importance jamais connue au 20e siècle. Ces universitaires témoignent aussi que l’engagement des militants de cette période s’est poursuivi durant un demi-siècle. Reportage et entretiens avec deux des auteurs.
La réalité méritait d’être rétablie. Loin des lieux communs et des approches trop exclusivement parisiennes, le mouvement social de mai-juin 1968 n’a pas été l’apanage de la capitale française et de l’Ile-de-France.
Lyon, une cité historique de la révolte populaire
Lyon, au cœur de la deuxième régionale économique française a montré que, fidèle à la période révolutionnaire née en 1789 ou aux deux révoltes des canuts (1831-34), elle avait joué un rôle non négligeable par son ampleur, mais aussi par l’unité assez exceptionnelle entre étudiants et salariés.
C’est l’objet de cet imposant ouvrage de près de 400 pages, où l’on peut entrer par différents chapitrés : centralité ouvrière des luttes, dynamiques militantes, combats féministes; engagements des chrétiens…
Cet agrégat de recherches complémentaires montre aussi la complexité des situations et la multiplicité des lieux où se sont déroulés ces mouvements sociaux.
Le sociologue et politiste Lilian Mathieu (ENS Lyon) a ouvert les contributions du Collectif de la Grande Côte lors de la soirée du 1er mars, comme il entame la série d’articles de ses six collègues issus de différentes universités en introduction du livre Lyon en luttes dans les années 68.
Il présente l’objectif de cet ouvrage qui constitue un regard sur ce qui s’est passé au printemps 68 et dans les années qui ont suivi.
Si Lyon en luttes dans les années 68 témoigne des actions dans ces mois de printemps, il atteste aussi que ceux qui avaient mouillé la chemise ne s’en sont pas arrêtés là. S’ils ont été au premier rang au fil de très nombreuses manifestations et au long fil des occupations d’usines et de facultés, tout n’a pas été fini après cette période du premier défilé parti du campus de la Doua le 6 mai à début juillet 1968 avec la fin de la grève au sein de l’entreprise Berliet de Lyon, Vénissieux et Saint-Priest.
Sous le sombrero, la recherche bouillonne
L’étude menée pendant cinq ans (2013-2017), par ces chercheurs et enseignants majoritairement lyonnais (avec une exception suisse), entre dans un travail de recherche national qui a réuni une trentaine d’universitaires réunis dans l’enquête Sombrero qui a notamment examiné les » incidences biographiques de l’engagement de militants d’extrême gauche, féministes et syndicalistes des années 1968 au sein de cinq villes françaises (Lille, Lyon, Marseille, Nantes, Rennes) « .
Pour l’équipe rédactrice de cette étude, il faut noter aux côtés de Lilian Mathieu et Sophie Béroud; les enseignants et chercheurs François Alfandari, Laure Fleury, Camille Masclet, Vincent Porhel, Lucia Valdivia
Elle atteste de la vivacité du mouvement de mai à Lyon, au sein duquel l’Unef (Association générale des étudiants de Lyon), la CFDT et le PSU ont porté une dynamique forte et en phase avec les aspirations de la population excédée par dix ans de pouvoir gaulliste et d’intransigeance patronale. Un mouvement, où les chrétiens, catholiques principalement, pratiquants ou non pratiquants ont pris toute leur place (Action catholique ouvrière, Jeunesse ouvrière chrétienne, prêtres ouvriers).
Sophie Béroud, politiste et enseignante à l’université Lyon 2 est une des pilotes de cette recherche. Elle s’est beaucoup attachée à faire s’exprimer puis a mis au jour les parcours singuliers de militantes et militants entre 1968 et 2018.
Elle détaille le fil rouge qui s’est tissé dans ce demi-siècle, constituant la trame de vie dont l’engagement pour les autres a constitué l’armature et a forgé des raisons de vivre.
Sans doute, Lyon en luttes dans les années 68 n’est-il pas exempt de critiques, comme tout travail de recherche. S’il relit des témoignages de vie particuliers à l’aune du temps long, il ne prétend pas à l’exhaustivité. Il est d’ailleurs nécessaire de le confronter à d’autres ouvrages parus ces derniers mois : Lyon 68 (éditions Lieux dits) où l’on retrouve certains des universitaires (Lilian Mathieu, Sophie Béroud, Vincent Porhel), et aussi Les trimards, « pègre » et mauvais garçons (Atelier de création libertaire) de la docteure en histoire Claire Auzias.
Après les lires, un colloque notoire
Un large complément à ces ouvrages lyonnais sera apporté les 21 et 22 mars 2018 dans le Grand amphi de l’Université de Lyon à l’occasion du colloque organisée de concert entre militants sociaux, politiques et syndicaux, et universitaires. Cette rencontre de haut-niveau est organisé à l’initiative de la CFDT Lyon-Rhône avec les universités Lyon 2, Lyon 3, les laboratoires Larhra et Triangle, le Centre Max Weber et Sciences Po Lyon.
Sous le label CFDT 1968-2018 Transformer le travail, transformer la société, Des luttes autogestionnaires au réformisme, ce colloque fera intervenir une quarantaine de chercheurs, enseignants, militants syndicaux et politiques qui dialogueront avec le public.
L’entrée est libre et gratuite. renseignements : 06 07 94 76 65 et cfdt1968.2018@gmail.com
Lyon en luttes dans les années 68, Lieux et trajectoires de la contestation, Collectif de la Grande Côte, Presses universitaires de Lyon, 20 €.