La Une d’un journal se soit d’être la vitrine de son contenu en pages intérieures. Alors, pourquoi, à partir d’une enquête bien menée, en arrive-t-on à une couverture racoleuse ? Voici quelques pièces au dossier assortis de diverses réactions.
L’hebdomadaire L’Express n° 3202 daté du 14 au 20 novembre titrait en couverture sur « Le vrai coût de l’immigration ». En pages intérieures (46 à 58), un large dossier exposant des réactions de Manuel Valls, Marine Le Pen, François Fillon, François Hollande, Jean-François Copé, Nicolas Sarkozy, puis des articles sur les immigrés et le travail, les immigrés et la protection sociale, les immigrés et l’Aide médicale aux étrangers (AME), les immigrés et le droit d’asile. Dix pages de texte pour nous révéler que « dans certains secteurs, comme la restauration ou la sécurité, les immigrés représentent près de 30 % des effectifs. Difficile de tourner sans eux », d’ajouter que selon Xavier Chojnicki, « coauteur d’une étude qui fait autorité », « les immigrés ne plombent pas les comptes de la Sécu ». Et de conclure sur l’Aide médicale aux étrangers qui coûte de plus en plus cher, mais où « les fraudes et abus sont marginaux ».
Un dérapage sérieux et consternant
Mais alors pourquoi ce titre de Une, et surtout pourquoi l’assimilation entre immigrés et musulmans (cette femme en burqua), immigrés et arabes ou personnes originaires d’Afrique noire (photos des pages intérieures) ? Où sont les immigrés venus d’Asie ou tout simplement d’Europe ?
Et surtout, pourquoi un tel titre, quelques jours après celui du Point, et alors même que la campagne à l’UMP avec la dénonciation du vol de pains au chocolat ?
Dès le 14 novembre au matin, Sophia Aram a épinglé L’Express et quelques médias se sont aussi emparés de cette affaire, telle l’Agence France Presse (AFP), 20 Minutes, ou le site Internet du Parisien-Aujourd’hui en France.
En interne, les journalistes ont réagi, et selon nos sources, une assemblée générale de la rédaction a été houleuse, et la Société des journalistes a protesté. Certains confrères expliquent que « la SDJ de L’Express a fait le job, la rédaction s’est exprimée (avec force, mais en interne), le débat a eu lieu avec Barbier et le message est passé ».
Face aux critiques virulentes des journalistes montrant le paradoxe entre une enquête excellente et, de façon subliminale, l’inverse en Une, Christophe Barbier, directeur de la rédaction, a répondu à cela que les « Unes tièdes ne sont jamais vendeuses ».
Beaucoup regrettent la tentation du racolage pour faire pièce à la baisse tendancielle du nombre de lecteurs. Mais en regard de ce qu’ils considèrent comme « un dérapage « sérieux et consternant », les problèmes sociaux à venir et, pour être clair, d’éventuels licenciements, pèsent lourd dans la balance.
La presse va mal, les journalistes trinquent
Rappelons qu’en 2006, en prenant en main le groupe L’Express, l’éditeur belge Roularta, qui regroupe une quarantaine de magazines en France (L’Entreprise, L’Etudiant, L’Express, L’Expansion, L’Etudiant, Lire, Maison Française, Pianiste, Point de vue…), a procédé à une restructuration des rédactions. Et les plus anciens de la maison se souviennent des ventes du groupe à Vivendi, puis Dassault.
Les médias vont mal et les journalistes trinquent. La semaine passée, le groupe Sud Ouest annonçait 180 licenciements, dont une quarantaine de journalistes. Dans la foulée, un quotidien militant L’Echo de Limoges déposait se déclarait en cessation de paiement auprès du tribunal de commerce de la ville… Enfin, il n’est pas inutile de le souligner, un journaliste sur quatre est en situation précaire (chômeurs, pigistes…) selon les chiffres même de la profession. La Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels comptabilisait plus de 9 000 journalistes précaires sur 37 000 journalistes en carte en 2011 et l’Observatoire des métiers de la presse attestait d’une montée de la précarité dans cette profession.
Ceci explique donc sans doute la prudence en interne, et le silence en externe des syndicats de journalistes, (au nombre desquels la CFDT, la CGT et le SNJ), dans l’affaire de L’Express. Ou de la difficulté de concilier défense de l’emploi et promotion de l’éthique journalistique.
J.-F. Cullafroz-Dalla Riva
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