Critique de Jean-François Cullafroz, journaliste professionnel honoraire, carte de presse 49272
Michelle Zancarini-Fournel, professeur émérite de l’université Claude Bernard Lyon 1 est spécialiste de l’histoire sociale contemporaine. A ce titre, elle a notamment organisé en avril 2008, la rencontre « L’intelligence d’une ville, mai-juin 1968 à Lyon », dans le cadre de la Bibliothèque de la Part-Dieu.
Le dernier ouvrage de cette spécialiste de l’histoire des femmes permet de resituer les combats présents dans l’histoire d’un peuple qui a toujours su relever la tête. Des personnes et pas des masses informes, qui ont su mobiliser les milieux agricoles et ouvriers.
C’est une histoire véritablement populaire que Michelle Zancarini-Fournel déploie au fil de quelque 900 pages. Mais que l’on ne s’y trompe pas, l’ampleur de ce livre n’est en rien dissuasif. En effet, si l’enchainement historique des événements est indéniable, on peut entrer par différentes portes, au gré de ses choix.
Rien n’est jamais acquis…
Structuré en six parties, Les luttes et les rêves, une histoire populaire de la France, de 1685 à nos jours, démarre d’une année tragique, où sous Louis XIV est promulgué le Code Noir et est abrogé l’Edit de Nantes. Année fatale pour les populations des Antilles, la plupart du temps noires et esclaves, mais aussi aux personnes juives, «réputés « ennemis déclarés du nom chrétien », mais aussi aux protestants qui partiront en masse vers les pays du Refuge. Le chemin des Huguenots, qui va d’Ardèche et de la cité drômoise de Poët-Laval en direction du Nord de l’Allemagne, témoigne de la répression vécue par les populations du Désert, tout comme la Journée nationale commémorative de l’abolition de l’esclavage en France métropolitaine issue de la loi Taubira de 2001, rappelle la souffrance imposée par le pouvoir royal et ceux qui le supportaient (nobles, armateurs, négociants, planteurs…).
La seconde partie du livre, Entre révolutions et restaurations, souligne le fait que jamais n’est rien acquis définitivement, et que les soulèvements populaires (1789-1830) ont été des moments marquants. Les puissants ne tiennent pas à lâcher le pactole qu’ils ont acquis avec la sueur des salariés, et faute d’utopies qui inspirent des luttes pour un monde nouveau (troisième partie : 1830-1870), la désespérance est vite là. Mais ce serait sans compter sur la conscience de classe et la conscience de race qui a émergé plus nettement entre la Commune de Paris et la Première guerre mondiale (4e parte). Contrairement à ce que l’on pourrait croire, « la Belle époque fut une époque rebelle », où les actions pour asseoir la République, combattre l’antisémitisme et promouvoir l’internationalisme posèrent leurs marques, jalons balayés par la Grande guerre (5e partie).
Un tissage intime d’histoires personnelles et singulières
Alors, in fine, après les années noires-années rouges (1940-1948), après les Trente glorieuses, dont Michelle Zancarini-Fournel s’emploie à mettre en lumière l’envers du décor, après le mouvement de mai-juin 1968, et avec l’affirmation du néolibéralisme, l’auteure invite à se questionner : « Un autre monde est-il possible ? »
En préambule, évoquant son histoire personnelle familiale, Michelle Zancarini-Fournel souligne que l’histoire populaire n’est pas seulement celle des groupes, mouvements ou organisations, mais est aussi tissée avec des histoires singulières, qui passent par l’intime, « une histoire sensible, attentive aux émotions, aux bruits, aux sons, aux paroles et aux cris ». Une histoire faite de témoignages et de chansons que la professeure émérite s’emploie à mettre en lumière.
Un livre de référence à déguster avec lenteur pour mieux s en imprégner comme ceux que l’auteure a écrit ou a participé comme celui sur la période 1962-1981.
Les luttes et les rêves, une histoire populaire de la France, de 1685 à nos jours, éditions La Découverte, 995 pages, 28 €, Version numérique : 16,99 €..