Reportage de Jean-François Cullafroz, journaliste professionnel honoraire carte de presse 49272
Depuis le 31 mars, Nuit debout se reproduit soit après soir avec plus ou moins d’assistance. En ce vendredi 22 avril, sous une pluie battante, ils environ 200… Récit d’une plongée furtive.
Tout a débuté à Lyon, après la quatrième manifestation organisée par sept organisations syndicales de salariés, de lycéens, et d’étudiants, contre la loi travail de la ministre Myriam El Khomri. Entre 12 000 et 30000 manifestants avaient défilé, et malgré quelques dérapages et accrochages avec la police, les plus jeunes sont restés sur la place Bellecour, au cœur de la presqu’île lyonnaise. Puis, après être passé par la place Colbert, sur les pentes de la Croix-Rousse, La Nuit debout à Lyon s’est posée place Guichard, à deux pas de la Bourse du travail décoré de fresques nées sous le Front populaire.
Il est 17 heures lorsque je sors du métro ligne B. « On se retrouve là tous les jours, sauf le mardi et le dimanche car nous libérons la place pour le marché », déclare Clarisse, qui s’affaire déjà près du stand restauration. « Revenez à partir de 20 heures, vous verrez il y aura du monde. Mais apportez votre parapluie, car on annonce l’orage… »
Par petits groupes, 40 thèmes de débats
Habiter la place, boycott ciblé, nouvelles formes d’entreprises, monnaies locales, démocratie, atelier constituant, représentation, mondialisation, syndicalisme, autogestion, féminisme, poétiser, éducation populaire… pas moins de quarante thèmes de thèmes et d’ateliers sont listés.
22 heures. Le ciel mitigé et la température extrêmement douce a cédé la place à la pluie battante. Près de 200 personnes, pour la plus grande majorité des jeunes se sont réfugiés sur des chapiteaux. Assis sur les marches, certains observent, écoutent. Au centre, sous une petite tente, la sono diffuse un débat qui vient de s’instaurer sur la suite de l’action à mener en début de semaine.
Au bout de la place, le stand restauration propose encore une boisson ou de la salade de fruits… Manon est salariée, employée comme contractuelle au ministère de la Défense. Sans réticence envers le journaliste que je suis, elle accepte de répondre à mes questions.
Je retourne vers la sonorisation. Un jeune africain qui arrive de Genève a pris la parole. C’est pour lui l’occasion de remercier pour l’accueil chaleureux qu’il a reçu. Puis, un autre jeune muni d’un ordinateur portable détaille la façon dont se prenne les décisions et dont sont organisées les nuits où cela démarre en petit groupes et commissions. Là, comme le détaille le site Internet qui a été mis en place, il faut « rester ouvert, utiliser les techniques de communication non-violente, garantir l’accès égal à la parole pour tou-te-s (tour de parole), rédiger un compte-rendu qui synthétise ses réflexions (et pas seulement la conclusion finale) ».
« Je n’ai jamais voté par choix »
On revient ensuite à ce qui va se passer en début de semaine. Une action, sans doute liée au droit au logement, mais dont l’objectif précis n’est pas donné publiquement.
Quelques participants, qui ont appris que j’étais journaliste, en voulant me donner le micro, acceptent de détailler leurs motivations. il y là Oussama, un chercheur de l’Inserm, Marianne, une professeur de lettres modernes, qui hésite à détailler son travail, Irène qui termine son master en archéologie, Cyril, artiste intermittent du spectacle. Tous ont la trentaine bien sonné, et même plus comme Francis, libraire qui tient boutique près de l’opéra de Lyon.
« Je suis prof depuis dix ans. J’ai toujours voté mais je n’ai pas eu l’occasion de vraiment faire un choix », souligne Marianne. « Nous ne nous retrouvons ni dans les médias, ni dans les partis politiques », poursuit Oussama. « L’espoir est aux sans-espoir », tonne Francis, qui affirme avec force que les journalistes ont baissé les bras devant les cinq grands groupes qui contrôlent les médias français.Mais pas tous, comme en témoignent des articles mis sur Internet.
Le contact avec les quartiers populaires
Cyril insiste pour dire, que contrairement à ce qui peut être dit, le lien avec les quartiers populaires est maintenu. « Des lycéens de Robert Doisneau à Vaulx-en-Velin, sont venus ici il y a quelques jours. Et puis, les SDF de la place se sont joints à nous. Certains font la tambouille, d’autres son plus difficiles à gérer… »
Vers minuit moins le quart, alors que la place commence à être désertée, Cyril Boccara répond très volontiers à mes questions.Musicien et chanteur, mais aussi comédien, il essaie de vivre de l’intermittence du spectacle avec le groupe théatral Dynamithe qu’il a contribué à créer alors qu’il était étudiant à Normale sup’ à Paris..
Quel avenir pour ce mouvement ? Quelles traces laissera-t-il ? Pour notre société ? Pour ceux qui en ont été acteurs ? L’ancien acteur de mai 68 que je suis, peut assurer cinquante ans après cet évènement qui a marqué le siècle précédent, que ce mouvement mérite d’être pris au sérieux. Car il est le cri d’une jeunesse qui vit à la charnière de deux mondes, mais où l’histoire n’est pas oubliée. Scoop et Scop vont de pair, comme autogestion et mondialisation.
A un an des élections présidentielles et législatives, leurs messages ont grand besoin d’être entendus. Car une majorité silencieuse de citoyens plus âgés n’est pas loin de les partager, comme le soulignait le philosophe Pierre Rosanvallon il y a quelques jours lors d’une émission sur France culture.
En clôture de son 51e congrès confédéral de Marseille, la CGT a annoncé le lancement d’une grève reconductible à compter du 28 avril, toujours pour s’opposer à la loi El Khomri. A trois jours du 1er mai, de l’accueil que lui feront les salariés dépendra sans doute la poursuite du mouvement lycéen et étudiant, et peut-être aussi du débouché des Nuits debout, à Lyon comme ailleurs dans l’Hexagone.