Reportage de Jean-François Cullafroz, correspondant du quotidien Le Courrier (Genève) journaliste honoraire carte de presse 49272
Depuis plus d’un an, la petite commune de Roybon (Isère) est le théâtre de divergences qui sont allés jusqu’à l’affrontement entre une partie de la population et les opposants au projet de Parc Centers déposé par le groupe Pierre et Vacances et qui devrait se situer sur le plateau de Chabaran. Plongée dans cette petite commune qui attend un nouveau verdict de la justice jeudi 16 juillet.
Quand on arrive de Lyon, Chambaran, en Isère, c’est un site militaire qui sert aujourd’hui encore de champ de tir et de camp d’entraînement, notamment pour les chasseurs alpins basés dans la région. Terrain qui associe activités de défense nationale et de préservation de l’environnement.
Chambaran, c’est aussi, tout à côté de la voie de l’ancienne ligne de tram qui joignait Viriville à St Antoine-L’Abbaye. Pendant 40 ans, de la fin du 19e siècle à la veille de la Deuxième guerre mondiale, le « tacot » a circulé, déposant ici les troupes venues de Lyon, via La Côte-St André. Aujourd’hui, l’ancien tracé fait le délice des randonneurs et cyclotouristes.
Roybon, la Liberté de Bartholdi
Mais le plateau qui accueille en son rebord Est une abbaye de moniale cistercienne, est depuis un an synonyme de discorde. Une affaire qui a été enclenchée il y a cinq ans quand des habitants ont découvert un projet de centre de loisirs proposé par le groupe Pierre et Vacances. Un dossier accepté par des élus locaux à la recherche de financements pour combler un endettement communal.
Les recours en justice ont été nombreux d’abord de la part des défenseurs de la nature qui aidés par la Frapna et les élus écologistes d’EELV ont porté la question au plus niveau de la Nation. Ainsi, après un dernier jugement du Conseil d’état favorable au projet, l’avis du rapporteur public du tribunal administratif de Grenoble a donné raison aux opposants jeudi 2 juillet dernier. Le jugement sera rendu le 16 juillet. En attendant, à Roybon, petite commune dauphinoise de 1300 habitants, les esprits sont chauffés à blanc. Dans le centre du bourg, les banderoles de soutien au projet touristique sont nombreuses, sur les façades des commerces et même de la mairie, qui se tient devant une ébauche de la statue de la Liberté réalisée par Auguste Bartholdi dans son atelier, avant de monter la fameuse statue installée à New York, dans l’île située au sud de Manhattan.
Du côté de l’Hôtel de ville, le secrétariat du maire nous signifie que les élus ne parlent pas aux journalistes. Alors, nous nous sommes retournés vers ceux qui voulaient bien parler face caméra. Ainsi, voici recueillis sur la place centrale du bourg, les propos virulents d’un agriculteur retraité partisan du projet, abordé à sa descente de voiture.
Au carrefour de la départementale 20 qui monte à Montrigaud (Drôme),le café qui se tient là ne fait pas mystère de son soutien au projet touristique. D’ailleurs, c’est ici que l’on peut adhérer à Vivre en Chambaran, une association défendant le projet. Autour du zinc, les tenanciers ne manquent pas d’effrayer ceux qui s’enquièrent du chemin vers la future zone à aménagement différé. « Vous allez voir vous serez arrêtés par les gendarmes. Et puis, si vous y arrivez, vous verrez les barbelés qu’ils ont mis dans les arbres ! », soulignent-ils.
Du côté des opposants au projet
C’est seulement à 5 kilomètres du centre du village, aux abords du site choisi par Pierre et Vacances, que des agriculteurs et riverains affichent leur opposition à ce qu’ils considèrent comme un désastre écologique en matière d’eau, de forêt, et de bio-diversité naturelle en général. Ils ont constitué pour cela l’association PCSCP (Pour les Chambaran sans Center parcs) qui a trouvé face à elle Vivre en Chambaran.
« On nous dit que cela va employer des centaines de personnes, mais des occasions ont été manquées. Alors, que dire d’emplois à temps partiels qui ne peuvent intéresser des jeunes souhaitant un emploi plus stable. Et puis que dire des dégâts que la réalisation du projet Pierre et Vacances occasionnerait à la nappe phréatique et à la réserve d’eau que constituent les Chambaran , D’ailleurs, à quelques kilomètres d’ici, sur le versant drômois du plateau, les communes se sont alarmées des conséquences pour leur approvisionnement en eau, et des risques pour la rivière Herbasse », témoigne un des responsables de l’association PCSCP. On dit même aussi que, face à une opposition non-violente, les tenants du projet n’ont pas hésité à multiplier les menaces, et ont même commis quelques dégradations à leur encontre.
Si les élus locaux refusent de dialoguer avec la presse, il n’en va pas de même pour des touristes. Nous avons rencontré Gudrun et Bernard venus de Cologne. Ils connaissent bien la région qu’ils fréquentaient déjà l’été il y trente ans durant les vacances. Ils sont arrivés à bicylette jusqu’à la forêt occupée par les opposants au projet touristique de Pierre et Vacances pour parler avec les « Zadiens ». Gudrun expose les motifs de son accord avec les opposants afin de protéger la biodiversité de cette zone naturelle de forêt et de lande..
Tim et Alex : des opposants de Zad en Zad
Au bord de la départementale 20, sur cette route qui va d’Isère en Drôme, graffitis puis banderoles annoncent qu’on aborde la Zad, que les contestataires ont fait passer de Zone à aménagement différé en Zone à défendre. Contre les grands projets inutiles et imposés, les jeunes qui ont établi leur siège dans une ancienne maison forestière au milieu des bois n’ont pas revêtu l’habit du grand méchant loup.
La zone à aménagement différé (ZAD) est devenue zone à défendre, et les jeunes qui occupent les lieux symboliquement conçoivent leur action comme un moyen pour les populations locales de donner leur avis. Ici, à Roybon comme à Sivens contre le projet de barrage ou à Notre-Dame-des-Landes face au conflit emblématique du grand aéroport de l’Ouest, les actions judiciaires sont allées de pair avec l’occupation sur le terrain. Point de vue de Tim, qui va de Zad en Zad, et refuse avec fermeté le qualificatif de « djihadiste vert » dont les promoteurs du projet les ont affublé.
Alex est aussi un de ces opposants qui occupent le terrain. Pour cet ex-étudiant en géographie, c’est une zone à défendre en raison de ses qualités en matière de flore et de faune. Et de plus, le plateau de Chambaran est une formidable éponge qui permet de réguler la rivière Herbasse, et garantit l’alimentation en eau de nombreuses communes du versant drômois.
Ex-étudiant de master, Alex porte un regard tout à la fois historique et sociopolitique sur le mouvement né des zones à défendre, qui depuis l’opposition à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes s’est amplifiée à Sivens dans le Tarn, puis Roybon en Dauphiné, et se poursuit ailleurs. Des actions héritières selon lui, par exemple, de la lutte tenace et victorieuse des paysans du Larzac.
A Chambaran, comme entre 1940 et 1944, une partie de la population a renoué avec la résistance. Ici, les maquis furent nombreux pour résister à l’occupant nazi et ses aides de Vichy, notamment de la Milice. Proche du camp militaire, un monument en témoigne encore.
Pour les occupants de la Zad, quel que soit le jugement que rendra le tribunal administratif de Grenoble les 16 et 17 juillet seront un moment de réjouissance au lendemain de la Fête nationale. D’autant que sur le terrain de la parole à donner aux populations face aux projets imposé, les occasions ne manquent pas : à Bure, Marennes d’Oléron ou ailleurs. Comme le montre le Tour Alernatiba, parti du Pays basque pour rejoindre la conférence sur le climat de Paris (Cop 21), le souci de faire vivre la démocratie a trouvé des relais dans la jeunesse.
Un seul regret peut-être, c’est qu’à la différence du mouvement qui a su unir les luttes des paysans du Larzac et des ouvriers de Lip par l’entremise du Parti socialiste unifié (PSU), les liens avec le monde salarié et les organisations syndicales ne soient pas vraiment établis. Même si, au sein de la population opposante figurent de nombreux militants syndicaux et de la gauche « citoyenne ». A ce titre, au sein de la communauté de l’Arche de Saint Antoine-l’Abbaye, Pierre Veyrand atteste que la démarche non-violente d’un Lanza del Vasto, compagnon de la lutte des paysans du Larzac, s’incarne encore aujourd’hui sur ce plateau dauphinois, entre Rhône et Isère.