Par Jean-François Cullafroz, journaliste professionnel honoraire, carte de presse 49272, correspondant du Courrier (quotidien à Genève).
La CFDT a été la première à prendre position contre Marine Le Pen en vue de l’élection du 24 avril 2022. La CGT et Solidaires ont suivi, ainsi que de nombreuses associations nationales telle Attac, mais aussi d’autres acteurs, à l’instar d’un collectif de directeurs de théâtres et établissements culturels et de différents responsables religieux, à l’exception notable de l’Église catholique en France.
Les positions des syndicats en vue du 2e tour des élections présidentielles seront particulièrement importantes. En effet, c’est le monde du travail, des salarié.e.s et des chômeurs-euses que sont venus les bulletins de vote pour Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen. Aussi, leurs consignes de vote seront regardées, ainsi d’ailleurs que celles du milieu associatif du monde de la culture et des responsables religieux.
Depuis plusieurs années, la CFDT, première centrale syndicale française s’est clairement positionnée en opposition à l’extrême-droite. Depuis les résultats du 10 avril 2022, les responsables cédétistes multiplient les prises de position pour favoriser le vote contre Marine Le Pen et par conséquent pour Emmanuel Macron.
Devant plus de 200 militant.e.s qui l’ont longuement questionné, Laurent Berger, secrétaire général a développé les motivations de la CFDT. Extrait de son intervention à Lyon mardi 12 avril.
En écho, la CGT a elle aussi, réaffirmé son opposition à l’extrême-droite et à ses idées nocives pour le vivre-ensemble, son opposition aux migrants et ses choix contraires à l’intérêt des salarié.e.s.
Un combat inscrit dans l’histoire
Pour la CGT, ses positions s’inscrivent dans l’histoire du mouvement ouvrier qui depuis les années 30 du 20e siècle a dû se confronter au fascisme.
« Au cours de l’histoire comme aujourd’hui dans de nombreux pays, les dirigeants se réclamant de cette idéologie, à l’image de Poutine, Bolsonaro, Orban, suppriment les libertés syndicales et démocratiques, cassent les garanties sociales, divisent les travailleurs et les travailleuses, brisent les solidarités », rappelle la centrale de Montreuil.
« Pas une voix du monde du travail pour l’extrême droite, elle doit être combattue partout. La situation est grave, en France; l’extrême droite est aux portes de l’Elysée », a souligné la confédération CGT mardi 12 avril, à deux semaines d’un second tour incertain entre les deux candidats à la présidentielle, Emmanuel Macron et Marine Le Pen.
De Solidaires à la CFTC
Sud-Solidaires a aussi pris position dès le lendemain du 1er tour de l’élection présidentielle. Quant aux autres syndicats, l’attitude est moins claire. Au lendemain du premier tour, Force ouvrière, troisième d’entre eux, a expliqué que « l’indépendance syndicale conduit à ne pas donner de consigne de vote ».
Du côté de la CFTC, Cyril Chabanier, rappelait il y a une semaine que « les consignes de vote, c’est dépassé. Quand on connaît nos positions et les valeurs de la CFTC, je suis certain que nos adhérents sont à l’opposé de ce que propose Le Pen. »
N’empêche les sondages effectués auprès des adhérents des syndicats de salariés attestent que les idées d’extrême-droite et le vote pour marine Le Pen a progressé entre les élections présidentielles de 2017 et aujourd’hui. Les personnes proches de Force ouvrière étaient 31% cette année (24 % en 2017), 22% chez les proches de la CGT (15 % il y a cinq ans), 15% chez ceux de la CFDT (7 % en 2017).
Du côté des associations…
« Nous savons que l’extrême droite est notre pire ennemi et qu’aucune voix ne doit la renforcer ni lui permettre d’accéder au pouvoir », a déclaré le mouvement Attac dès le début de cette semaine.
Il poursuit en soulignant que « la crise démocratique est profonde ; cette élection ne la résoudra pas et va, au contraire, l’aggraver. La défiance vis-à-vis des institutions représentatives se nourrit en effet de la précarité et de l’exclusion, que l’accélération des politiques néolibérales, doublées pour l’une d’une approche xénophobe et nationaliste, ne feront qu’accentuer. »
La Libre Pensée, très présente dans les mouvements sociaux ces deux dernières années assure que » Le score inédit des candidat·es d’extrêmes droites est le fruit d’un trop plein de politiques de casse des solidarités, de montée des inégalités, d’alternances sans changements de notre quotidien, de propagation des discours racistes. »
Mais, elle tient à souligner que « le dernier mandat d’Emmanuel Macron porte une responsabilité particulière tant les violences sociales et politiques déployées ont été fortes ».
Cela n’empêche pas la Libre Pensée d’inviter les citoyens à ne donner « aucune voix à Marine Le Pen, ni lui permettre d’accéder au pouvoir, car nous savons que l’extrême droite est notre pire ennemi. »
Dans la même veine, de nombreux acteurs culturels ont partagé leur hostilité au rassemblement national et leur appel à voter Emmanuel Macron. Dans une tribune mise en ligne mardi 12 avril par le quotidien Libération, des responsables du monde de la culture, dont Jack Lang, président de l‘Institut monde arabe, Olivier Py, directeur du Festival d’Avignon, Stéphane Braunschweig, directeur du théâtre national de La Colline, Stanislas Nordey et Macha Makeieff, appellent à voter Emmanuel Macron au second tour de la présidentielle, en soulignant que l’abstention peut bénéficier à son adversaire d’extrême droite, Marine Le Pen.
… et des religions
Pour les religions, nous relevons à ce jour deux attitudes opposées. Les Français d’Israël ont voté très majoritairement pour Eric Zemmour, mais en Métropole, toutes les principales instances de la communauté juive (Consistoire central, Crif, Fonds social juif unifié) ont appelé à voter contre Marine Le Pen.
« Le Consistoire central de France, profondément attaché à sa devise +Religion et Patrie+, enjoint les Français à se mobiliser massivement le 24 avril prochain pour faire triompher, par la voie des urnes, la France qui nous rassemble », ont déclaré en commun le président du Consistoire central Élie Korchia et le grand rabbin de France Haïm Korsia.
« C’est un nouveau péril pour la cohésion de la population française, et nous appelons à dépasser les clivages politiques et à voter pour Emmanuel Macron, afin de « garantir la préservation des principes républicains comme des valeurs humanistes prônées par le judaïsme. »
L’Église catholique en France ne fait pas montre d’une telle détermination, à la différence de son attitude en 2002, où elle avait clairement à voter contre le Front national représenté par Jean-Marie Le Pen.
Le Conseil permanent de la Conférence des évêques de France souhaite à nouveau mettre sa déclaration de janvier 2022, l’Espérance ne déçoit pas, à la disposition des fidèles catholiques et de tous les citoyens, pour leur discernement et le choix de leur vote.
C’est à l’intelligence, à la conscience et à la liberté de chacun que s’adressent les évêques, avec la gravité que requièrent l’évènement, l’état de notre pays et les crises qui traversent notre monde. Les évêques du Conseil permanent rappellent aux catholiques l’importance de voter et de le faire en conscience, à la lumière de l’Évangile et de la doctrine sociale de l’Église.
Une telle prudence n’est sans doute pas étrangère à la position des fidèles dont un sondage commandé par le quotidien La Croix vient de montrer la radicalisation à droite.
Voter Macron, est-ce donner un blanc seing ?
Qu’ils appellent à ne donner aucune voix à la candidate du Rassemblement national ou à voter explicitement pour Emmanuel Macron, donnent-ils pour autant leur aval total au président sortant ?
Les syndicats attendent de pied ferme le locataire de l’Élysée, en particulier sur la question des retraites et la réforme à 65 voire 24 ans… C’est, par exemple le cas de Laurent Berger, qui espère bien avec la CFDT faire évoluer la position du président sortant d’ici le 24 avril
Le 3e tour tour politique en juin
Et le leader de la première centrale syndicale de rappeler à ses militants mardi passé à Lyon qu’après le 2e tour le 24 avril, il y en aura un troisième : celui des élections législatives.
Et que là encore, l’action sera nécessaire auprès des candidats à l’Assemblée nationale.
Les jours qui viennent devraient apporter de nouvelles prises de position de la société civile au fil des dix derniers jours avant le 2e tour des élections présidentielles.
(à suivre)
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24 avril 2022 (3) : Des catholiques et des francs-maçons disent non à l’extrême-droite