Mardi 16 février 2021, avec les voix du groupe LREM, l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi sur les séparatismes présenté par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. Un texte contesté comme la loi Sécurité globale par un collectif de près de quatre-vingt associations qui, de samedi en samedi, maintiennent la mobilisation. Au sein de ce regroupement, l’ONG Amnesty international France, qui a publié, il y a une semaine, un rapport sur les agissements policiers lors de la manifestation parisienne du 12 décembre 2020. Une étude documentée, réalisée par Anne-Sophie Simpère, qui corrobore un reportage déjà présenté par le site de presse en ligne Médiapart.
Alors que lundi 8 février s’est ouvert à l’hôtel de Beauvau, la table ronde sur le lien entre la police et la population, Amnesty International France (AIF) publait une enquête sur les arrestations arbitraires qui ont eu lieu lors du rassemblement du 12 décembre 2020 contre la proposition de loi de « sécurité globale » et le projet de loi « confortant les principes républicains ». L’ONG rappelle ses préoccupations concernant les attaques répétées au droit de manifester en France et le devoir du ministre de l’Intérieur, comme des forces de l’ordre, de protéger les manifestants et de permettre l’exercice du droit à la liberté de réunion pacifique pour chacun.
L’enquête qu’Amnesty International France réalisée par la juriste Anne-Sophie Simpère, publiée la semaine passée, intitulée « Climat d’insécurité totale : arrestations arbitraires de manifestants pacifiques le 12 décembre 2020 à Paris », est révélatrice. Amnesty démontre que des dizaines de manifestants ont été victimes de détentions arbitraires dans le cadre de cette manifestation, ce qui constitue une violation du droit à la liberté et à la sûreté de sa personne. Pour rappel, sur les 142 personnes interpellées le 12 décembre 2020 à Paris, dix-neuf étaient mineures et près de 80 % ont été relâchées sans poursuite.
Des alertes répétées
Ces pratiques, susceptibles d’entraver le travail des journalistes et de décourager celles et ceux qui souhaitent exercer leur droit de manifester, menacent directement le droit à la liberté d’expression et le droit à l’information. Ce travail de recherche met en lumière l’inaction des autorités, malgré les alertes répétées d’Amnesty International France et d’autres organisations. Lara, mère de L. âgé de 16 ans qui a passé environ vingt heures en garde à vue, et dont l’affaire a été classée sans suite, témoigne : « Mon fils dansait dans le cortège, il y avait des percussions et puis il a senti qu’il était poussé ; mais il croyait que c’était d’autres manifestants au départ. En fait, c’était la police. Il a pris un coup de matraque. Il a eu un hématome à la jambe, constaté par le médecin en garde à vue… (…) On m’a appelée plus tard dans la soirée, on m’a dit qu’il n’allait pas sortir et je n’ai pas pu lui parler. Ils n’ont pas voulu me le passer. Ils me disaient qu’il faisait partie d’une “bande violente“, d’un “groupe de personnes ayant l’intention de faire du mal” ».
Un rapport élaboré sur la base de témoignages
Sur la base d’entretiens avec des manifestants arrêtés à Paris, leurs proches et des avocats, entretiens corroborés par des pièces judiciaires, certificats médicaux ou vidéos, Amnesty International France a réuni des informations sur trente-cinq cas d’interpellations, dont trente-trois gardes à vue et deux privations de liberté de près de cinq heures.
Dans tous les cas documentés, les détentions de manifestants ont eu lieu en l’absence d’éléments permettant raisonnablement de penser que ces personnes avaient pu commettre une infraction, ce qui constitue donc des détentions arbitraires.
« J’ai demandé pourquoi on m’arrêtait et on m’a répondu : “visage dissimulé”. J’étais stupéfait, en pleine crise Covid ! », assure Loïc, 27 ans, membre de l’association Attac, après environ vingt-quatre heures de garde à vue, et un classement sans suite.
« Un policier l’a plaquée au sol, puis l’a relevée, l’a plaquée au mur. Il lui a reproché d’avoir craché, elle a dit qu’elle n’avait pas craché. … Elle s’est souvenue, après, avoir craché son chewing-gum par terre au moment de la charge. Et c’est ce qui est retenu contre elle dans le rappel à la loi : un crachat de nature à porter atteinte à la dignité d’une personne dépositaire de l’autorité publique… Il n’y a rien sur les circonstances : où a-t-elle a craché, quand, sur quoi ? Il n’y a rien. On est vraiment dans de l’allégation. C’est sa parole contre la parole de l’institution, sans que l’institution ne se donne la peine de prouver ce qu’elle affirme. », témoigne B., élue locale, mère d’une adolescente de 17 ans, arrêtée et placée en garde-à-vue environ vingt-quatre heures.
Pour Anne-Sophie Simpere, auteure de l’enquête, « Ces gardes à vue arbitraires ont des impacts sur les droits humains, à commencer par le droit à la liberté et la sûreté de sa personne, mais aussi des impacts psychologiques. Les témoignages recueillis montrent que les personnes ne savent pas pourquoi elles ont été interpellées, ce qu’on va pouvoir leur reprocher et donc ce qui peut leur arriver.
Cette incertitude est angoissante et particulièrement difficile pour les mineurs qui se retrouvent dans cette situation. On parle de gens qui, partis manifester, se retrouvent à passer vingt-quatre heures dans une cellule, subissent des fouilles, des interrogatoires, perdent la notion du temps, dorment mal… tout en se demandant pour quelle raison elles se retrouvent là. »
Comme Amnesty International l’avait déjà documenté dans le rapport sorti en septembre dernier et intitulé « Arrêtés pour avoir manifesté », les autorités ont eu à nouveau recours à des lois françaises contraires au droit international, comme celles condamnant l’outrage ou le délit de dissimulation de visage.
Mais le principal motif d’interpellation a vraisemblablement été le « délit de groupement en vue de la préparation de violences ». Ce délit, défini de manière vague, a déjà été utilisé de manière abusive par les autorités, en portant atteinte aux droits humains, et notamment au droit de manifester.
Amnesty International France s’inquiète également des interdictions de paraître, associées à certains rappels à la loi, qui privent les personnes de droits fondamentaux alors que ces mesures ne peuvent faire l’objet d’aucun recours.
L’ONG alerte également sur certaines pratiques des forces de l’ordre qui ne sont pas conformes au droit international relatif aux droits humains.
Des menottages routiniers
« Il ressort de nos entretiens que des policiers menottent de façon routinière des personnes qui ne présentent aucun danger, ce qui n’est conforme ni au droit international, ni au droit français. Nous avons eu aussi plusieurs témoignages de manifestants qui ont eu des difficultés à avoir accès ou n’ont pu être assistés par l’avocat de leur choix. Un reporter a aussi déclaré qu’on lui a saisi son matériel de travail, puis rendu détérioré », explique Anne-Sophie Simpere.
Enfin, Amnesty International France a pu observer, au moment même des arrestations, des commentaires du ministre de l’Intérieur sur les réseaux sociaux laissant entendre que les 142 personnes interpelées faisaient partie des centaines de « casseurs » présents dans cette manifestation.
« Ces prises de position contreviennent à l’impartialité attendue au plus haut niveau de la hiérarchie des forces de l’ordre. Un tel comportement est susceptible d’encourager la répétition d’arrestations et de détentions arbitraires de manifestants, plutôt que de garantir le respect du droit à la liberté de réunion pacifique.
Des interpellations sans justification
Cela est d’autant plus problématique que près de 80 % de ces interpellations n’ont finalement donné lieu à aucune poursuite et étaient donc infondées », conclut Anne-Sophie Simpere.
Déjà, le 29 septembre 2020, Amnesty International publiait un rapport intitulé « Arrêtés pour avoir manifesté. La loi comme arme de répression des manifestants pacifiques en France ». Celui-ci montrait comment en France, depuis fin 2018, des milliers de manifestants pacifiques ont fait l’objet d’arrestations, de poursuites et parfois de condamnations sur la base de lois trop vagues, ou contraires au droit international.