Reportage de François Dalla-Riva, journaliste professionnel honoraire, carte de presse 49272, correspondant du quotidien Le Courrier (Genève)
Les 30 et 31 octobre, le Grand Amphi de l’Université Lyon 2 accueillait le colloque intitulé Le moment 68 à Lyon en milieu scolaire, universitaire et éducatif : contestations, mutations, résistances, trajectoires. Près d’une trentaine d’universitaires, enseignants et/ou chercheurs, et d’actrices et acteurs de mai-juin 68 à Lyon et dans sa région ont témoigné. Reportage et rencontre avec deux des intervenants.
La pari d’Yves Verneuil, professeur en sciences de l’éducation, et de son équipe du laboratoire ECP (Education Cultures Politiques) était risqué. Organiser un nouveau colloque sur mai 68 après plusieurs rencontres sur ces événements, et le situer dans le cadre des vacances de la Toussaint pouvaient constituer un handicap.
De fait, si la grande foule ne peuplait pas le très beau et vaste grand amphithéâtre, la qualité des contributions et les interventions des actrices et acteurs de la période ont enrichi la recherche, tant historique que sociologique.
La situation entre Rhône et Saône a été, bien évidemment au centre des apports et des témoignages. Mais, le panorama a aussi été étendu à la grande voisine dauphinoise.
A Grenoble, comme à Lyon
Sur ce terrain, pour les facultés, coincées entre Chartreuse et Oisans, mai-juin 68 a constitué un moment faste. En effet, l’université, que ce soit au niveau des étudiants comme des enseignants s’est trouvée en osmose avec le mouvement des salariés dans une métropole atypique. Organisations syndicales très présentes qu’il s’agisse de la CFDT comme de la CGT, grèves prémonitoires telle celle qui paralysa le groupe Merlin-Gérin…
Le tout dans un tissu politique local dominé par l’alliance entre les Groupes d’action municipales (Gam) et le PSU, une municipalité dirigée par Hubert Dubedout, et un candidat député Pierre Mendès-France, qui a failli être candidat à la présidence de la République, porté par les manifestants du stade Charléty.
Sur le campus, la situation était encore plus complexe avec une large présence de groupes d’extrême-gauche de différentes sensibilités, et un recteur pacificateur (Maurice Niveau), aux prises avec Raymond Marcellin, un ministre de l’Intérieur très répressif dans la période qui a suivi mai-juin 68.
René Favier, professeur émérite d’histoire contemporaine, a brossé ce tableau social avant de passer en revue la reconstruction de l’université après les événements et dans le cadre de l’application de la réforme voulue par le ministre Edgar Faure. Il revient sur la recherche qu a alimenté son intervention.
De la maternelle à l’Université…
Le colloque des 30 et 31 octobre à l’Université Lyon 2 a eu le mérite de visiter les différents niveaux d’enseignements. Bien sûr, on a évoqué l’université publique avec ses facultés situées sur les quais du Rhône, mais aussi à Grange-Blanche avec les enseignements de médecine et pharmacie.
Les lycées ont été aussi mis en exergue à Lyon, Grenoble, Bourg-en-Bresse, Saint-Étienne et Roanne, au fil des contributions de Vincent Geitner, professeur au lycée Saint-Just à Lyon, et Elsa Neuville, qui a abordé la question des élèves de l’enseignement technique. Le rôles des syndicats (Unef pour les étudiants, Comité d’action lycéen pour le secondaire, Sgen-CFDT, Snes et Snalc pour les professeurs de collège et lycée) a été passé en revue.
Des figures du syndicalisme enseignant ont aussi été radioscopées. Ainsi, par Sophie Béroud, ont été présentés les parcours d’Albert Lachieze-Rey et Jacqueline Ponsot tous deux du Sgen-CFDT, et beaucoup d’autres ont été citées : Janine Chapas, Pierre Chopelin, Suzette Rata, Jean Lauvergnat et Jeannette Colombel dans le Rhône, Huguette Bouchardeau dans la Loire, Alexandre Giroud, Jean Place, Jean-Marie Pousseur, Pierre Jourdan et Jean-Jacques Kirkyacharian à Grenoble…
Le rôle de médiateurs de certains maîtres-assistants tels Bernard Comte et François Delpech, tous deux enseignants en histoire à la faculté de lettres de Lyon a été rappelé.
Les établissements privés, de l’enseignement catholique ont fait aussi l’objet d’une communication. Ainsi Daniel Moulinet, docteur en histoire, a présenté la réforme de l’université aux facultés catholiques de Lyon avec les difficultés rencontrées, par les étudiants en droit par exemple, pour faire reconnaître leurs études, et puis un lieu assez mal connu, le scolasticat des jésuites de la montée de Fourvière, où les événements de mai-juin 68 ont engendré de substantielles modifications ainsi que des départs de l’institution religieuse, comme l’a montré Valérie Aubourg, enseignante-chercheuse en ethnologie.
Enfin, ce colloque n’a pas oublié des établissements dévolus à la formation professionnelle, comme l’école de formation des éducateurs spécialisés. Au printemps 68, le programme des études comme le mode d’enseignement des professeurs a été sévèrement remis en cause, les élèves menant une longue grève qui les conduisit mi-juillet
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Et les parents d’élèves ?
Pour sa part, Yves Verneuil, a exploré les réactions et les actions des parents d’élèves et de leurs organisations (Peep et FCPE) dans des établissements de Lyon, Saint-Étienne et Bourg-en-Bresse.
La volonté d’un gestion plus démocratique était au cœur de nombre d’attentes des parties prenantes, parents comme lycéens, qui mettaient de surcroit en avant les conditions matérielles et pédagogiques que souvent ils subissaient.
Les tables rondes ont aussi apporté des compléments précieux aux interventions magistrales, à l’instar de celle du mercredi 31 octobre, où l’on a entendu les témoignages lyonnais de Patrick Bazin (classes préparatoires du lycée du Parc), Suzanne Benoit, professeure au collège Morel) et Jean-François Cullafroz, co-président du Comité de grève des Écoles normales d’instituteurs-trices.
Les chercheurs et enseignants Vincent Porhel et Lilian Mathieu, spécialistes de la période (livre Lyon en luttes dans les années 68) ont déployé une vision propre (rôle de l’éducation dans la construction des engagements militants, et Devenir enseignant des soixante-huitards), Michelle Zancarini Fournel mettant un point d’orgue à ce colloque dont l’intérêt n’était plus à démontrer.