Reportage de Jean-François Cullafroz, journaliste professionnel honoraire, carte de presse 49272
Mis à part les congrès confédéraux qui réunissent 2 000 à 3 000 personnes comme à Marseille en 2014, la CFDT préfère les rassemblements de proximité en nombre plus limité. La dernière rencontre de masse remontait à mai 1998, où avec Nicole Notat, elle réunissait 20 000 personnes au stade Charléty.pour enfoncer le clou de la revendication de la durée du travail à 35 heures. Autant dire que le rencontre de ce mardi 3 octobre était d’importance, puisque plus de 10 000 militan.t.e.s se sont réuni.e.s pour une journée dans le cadre de Paris Event Center. Au cœur de cette rencontre centrée sur le progrès social, la célébration de la première place de la CFDT comme première organisation syndicale du secteur privé. Une journée qui a permis l’expression d’approches différentes voire opposées vécues dans l’action sur les ordonnances. Récit d’un voyage à la porte parisienne de la Villette avec une délégation rhodanienne venue en nombre.
Pour les adhérent.e.s CFDT venu.e.s de région, il a fallu se lever tôt. A Lyon, comme Grenoble, Annecy, Saint-Etienne, Chambéry, Aurillac ou Clermont-Ferrand; le réveil a sonné pour beaucoup aux environs de cinq heures et demie. Trains classiques ou convois spéciaux étaient étaient au rendez-vous comme un certain nombre de cars pour les habitants du Nord de la France.
A Lyon-Perrache et Lyon-Part-Dieu, il était tout juste sept heures quand près de 500 cédétistes ont rejoint leur convoi. Je suis de ceux-là, et il y a dans la rame des salariés des Fonctions publiques, territoriales, d’Etat et de santé, mais aussi du secteur privé : chimie, métallurgie, services… Ils se trouvent par groupe d’ami.e.s et devisent sur le travail, l’action syndicale… Sur la ligne TGV, un aiguillage fait défaut, et tous les convois venus du sud de la France sont déviés. C’est donc aux environs de midi que les délégué.e.s auralpins rejoignent Paris Event Center, le lieu du rassemblement « Le progrès en tête », initié par la CFDT.
Pour voir Laurent Berger…
A la sortie du métro, Porte de la Villette, on fait encore la queue pour entrer dans ce rassemblement qui a ouvert à 10h30. Au long de la file d’attente, je rencontre des militantes venues du Maine-et-Loire. Elles sont aides-soignantes en établissements pour personnes âgées situés entre Angers et Cholet. Très motivées, mais sobres dans leurs propos, elles témoignent. Elles sont d’abord venues pour écouter leur leader le secrétaire général Laurent Berger.
Dans la même file d’attente, deux cédétistes venues de Nantes et de Bretagne attendent patiemment. Anne-Marie et Jocelyn sont salariés de Pôle emploi et écouteront avec attention le leader de la CFDT. Le positionnement sur les ordonnances Macron nécessite des éclaircissements qu’ils espèrent lors de sa prise de parole.
Place à la parole libre
Une fois le panier repas retiré et son contenu avalé, les militants CFDT d’Auvergne-Rhône-Alpes rejoignent un des deux halls où sont installés des stands de fédérations CFDT et d’organisations amies, spécialistes de la protection sociale, des questions juridiques ou de la santé.
Il y avait aussi neuf espaces de débats sur les sujets les plus prégnants, des conditions de travail aux ordonnances, en passant par les questions du handicap, des actions contre les discriminations ou de la syndicalisation.
La Région CFDT d’Auvergne-Rhône-Alpes est une organisation en pointe sur la question du handicap et du retour à l’emploi après des accidents de santé. Jean-Pierre Laurenson est un des syndicalistes qui impulse la réflexion et l’action. A l’issue d’un échange d’une heure dans agora, il témoigne.
Le pluralisme des positions
En attendant le meeting de l’après-midi, on devise sous le soleil. Rencontre avec un des responsables de la fédération métallurgie de la CFDT. Un des poids lourds de la centrale cédétiste qui a fait entendre sa différence d’approche sur la question des ordonnances.
Le Toulousain Jean Mauriès, trésorier fédéral de la FGMM-CFDT, le confirme, tout en se ralliant sous la bannière du secrétaire général de la confédération CFDT.
Non loin de là, deux Lillois venus de la région des Hauts -de-France resituent les positions de la CFDT dans un cadre historique.
Retraités, ils ont plus de soixante ans d’adhésion à la CFDT issue de la CFTC. Ils sont amis et soutiennent un avis différent, favorable aux décisions de la CFDT pour Yves, ancien salarié du secteur commerce, plus critique pour l’autre, qui a fait toute sa carrière dans la métallurgie.
Le temps d’une halte musicale sous le soleil avec un ensemble jazzy, il est temps de rejoindre le point nodal de ce rassemblement.
Plus de 10 000 personnes ont pris place sur las gradins du grand hall de Paris Event Center, répartis de part et d’autre d’un longue scène où un trio musical chauffe la salle sur des musiques rock et jazz.
Valeurs et revendications inscrites dans une histoire
Place d’abord aux femmes avec deux membres de la commission exécutive, l’équipe animatrice au quotidien de la confédération CFDT. Marylise Léon et Véronique Descacq ouvrent l’après-midi.
C’est le mouvement social de mai-juin1968 qui inaugure leur propos, avec pour la secrétaire générale adjointe le rappel de l’obtention de la reconnaissance de la section syndicale d’entreprise, défendue par la CFDT lors des accords de Grenelle.
Disparu deux jours auparavant, Edmond Maire, secrétaire général de la CFDT de 1971 à 1988 a eu droit à une minute de silence, une ovation émouvante et un rappel de son action inscrite dans l’histoire d’une confédération, qui tout en étant laïque depuis 1964, ne renie pas son passé depuis 1919.
L’ex « chimiste » Marylise Léon, experte en sécurité, et l’ancienne salariée du groupe Banque populaire, Véronique Descacq ont ensuite passé en revue les acquis de la stratégie et de la tactique CFDT.
Un cheminement tissé de luttes, de grèves, de journées nationales d’action, seule ou en intersyndicale, notamment avec la CGT, mais aussi d’un lent et patient travail sur le terrain. avec une attention soutenue aux aspirations des salariés, au renforcement de ses effectifs et à son audience comme éléments indispensables du rapport de forces, et d’un service de ses adhérents avec une panoplie de propositions en constante évolution.
Doper les personnes et les équipes
Les équipes syndicales de tout l’Hexagone et de secteurs professionnels très variés se sont alors succédé avec la ferme volonté d’insister sur les acquis obtenus à la base, et sur la dimension collective d’une action syndicale qui marque ainsi sa pertinence.
Le secrétaire général pouvait alors venir conclure cet après-midi par un one man-show, discours-programme de près d’une demie-heure. En jean et chemise blanche ouverte, le numéro un de la CFDT a arpenté la très longue scène, se tournant tour vers l’une et l’autre partie de la salle située de part et d’autre di grand hall.
Son ambition était claire : booster les 10 000 personnes venues l’écouter, rappeler les valeurs de la CFDT, inciter ses propagateurs â être fiers et à la faire-savoir. Sans négliger l’image et le message renvoyés en externe, illustrant le syndicalisme de l’avenir que la CFDT entend incarner.
Contre les injustices sociales et pour le partage des richesses
Après avoir rappelé le parcours d’Edmond Maire, souligné les acquis de la CFDT (des 35 heures au compté personnel d’activité en passant par la complémentaire santé généralisée…), Laurent Berger a insisté sur le fil rouge qui guide l’action cédétiste, quelles que soient les alésa de sa trajectoire tactique : la lutte contre les injustices sociales, le partage des richesses et le respect des personnes qui doivent devenir acteurs de leur vie quotidienne.
En regard des ordonnances promulguées par le président de la République, la réprobation et les sifflets de la salle furent nombreux et bruyants, poursuivant les approches diverses et même très opposées, comme celles exprimées le matin par les secrétaires généraux de la fédération de la métallurgie et de la région Bretagne, lors de l’agora sur les ordonnances. Le secrétaire général confirma les avoir entendus, y compris lors des contacts très proches avec les adhérents.
Mais pour autant, face à un patronat jugé rétrograde, c’est sur le terrain, dans les entreprises qu’il a renvoyés les militant.e.s pour un dialogue social insistant et persévérant. Une action visant à conquérir de nouveaux droits pour marquer de nouvelles avancées.
10 octobre: la CFDT en grève et dans la rue avec les fonctionnaires et les routiers
Les demandes multipliées de photos, gage de satisfaction, d’adhésion et de fidélité à une organisation dans laquelle ils se reconnaissent, n’ont pas occulté les regrets.
Des insatisfactions recueillies dans le train du retour qui a atteint Lyon au-delà de 22 heures. Alors que certain.e.s affichaient leur contentement au terme de cette longue journée, d’autres estimaient que la feuille de route qui leur avait été donnée n’était pas très vive et adaptée à la gravité de la situation.
Reste que Laurent Berger a fait entendre que la CFDT tiendrait toute sa place dans la journée de grève des Fonctions publiques du 10 octobre prochain. C’est aussi une façon de marquer que ce mode d’action ne reste pas tabou pour la CFDT, et peut être facteur de progrès social.
Option confirmée au moment où nous écrivons ces lignes puisque les routiers CFDT ont décidé de manifester, eux aussi, leur mécontentement mardi prochain, en lien avec leurs camarades de la CFTC.
A l’issue de la journée de ce 3 octobre, et pour appuyer sa démarche, la CFDT a lancé un appel des 10 000 qu’elle invité à signer. Ai moment où nous mettons en ligne cet article, près de 5 000 personnes ont déjà signé cet appel.
(à suivre)
Prochain article : une analyse du rassemblement du 3 octobre
merci pour ce reportage vivant pour celles et ceux qui n’y etaient pas