Presse et Eglise : un numéro d’équilibrisme

Posté le par dans Ca presse

Alors même que se déroulaient à Annecy les Journées de la presse catholique, les journalistes passaient aux travaux pratiques à l’occasion de la visite de François Hollande au Vatican, puis dans les jours qui ont précédé les initiatives de la Manif pour tous du dimanche 2 février. A Ouest-France, a délibérément privilégié la communication au détriment de l’information, acceptant de diffuser un pavé promotionnel appelant à la Manif pour tous.

Depuis un an, La Croix a multiplié les articles sur les sujets brûlants de société (© Pierre Nouvelle).

Depuis un an, La Croix a multiplié les articles sur les sujets brûlants de société (© Pierre Nouvelle).

Il est toujours difficile pour un média d’opinion de traiter des affaires internes de la sensibilité qu’il incarne. L’Humanité a connu cette épreuve quand il a fallu traiter des divergences au sein de la direction du Parti communiste, et plus récemment lors des débats internes de la confédération CGT. Avec la question du mariage pour tous, la rédaction de La Croix a du surfer entre les attentes d’un lectorat très mobilisé et la nécessité de laisser les journalistes donner les clés du débat de société. Ce qui a conduit, par exemple, à laisser très peu de place à l’opinion des catholiques défavorables à leur hiérarchie, mais aussi à l’opposé de montrer les positions divergentes entre les évêques français sur la façon d’exprimer leurs convictions.

Un traitement de l’info parfois univoque

Une façon pour la rédaction de La Croix de témoigner de sa diversité et de la haute idée que les journalistes qui la composent se font de leur métier. Il faut dire que les derniers directeurs successifs de la rédaction, Noël Copin et Bruno Frappat, et les rédacteurs en chef religieux à l’instar de Bruno Chenu ou de Michel Kubler, ont su rappeler que le quotidien n’était pas, en tant que tel, la voix de l’épiscopat catholique. Et le fait que les propriétaires soient la congrégation des assomptionnistes les a bien aidés dans cette démarche déontologique. D’ailleurs, c’est avec beaucoup de réserve que Joseph Ratzinger avait été accueilli lors de son élection papale, alors que le pape François fait l’objet depuis onze mois d’un traitement très favorable.

Pour autant, au fur et à mesure que le vote de la loi sur le mariage pour tous puis la loi sur la famille se sont rapprochés, les prises de position d’évêques et les témoignages contre les projets de loi se sont accumulés. Le courrier des lecteurs, soupape de décompression du quotidien, a d’ailleurs témoigné à de nombreuses reprises d’un traitement univoque de la question.

Sur ce terrain, on attend d’ailleurs toujours les interviewes des députés Marie-Anne Chapdelaine ou Erwann Binet, parents de famille nombreuse, chrétiens pratiquants et députés socialistes. Comme sa collègue rennaise, le cas du parlementaire de l’Isère, rapporteur du projet de loi sur le mariage pour tous, est emblématique. Questionné par La Croix, il aurait pu témoigner du dialogue qu’il a entretenu avec son évêque, Mgr Kérimel, avant la présentation du projet de loi, et alors qu’ils affichaient des positions diamétralement opposées. Les deux députés deux auraient aussi pu expliquer comment le fait de s’être déclarés chrétiens pratiquants a suscité l’intérêt de nombreux de leurs collègues de gauche avec qui ils ont témoigner de la cohérence entre leur foi et leur engagement politique.

Renier ses valeurs pour 30 deniers ?

Le cas du quotidien Ouest-France illustre les pressions qu’un vent réactionnaire peut susciter quand il s’estime porter par la foule. Les difficultés et les pressions furent plus subtiles. Il ne fait mystère pour personne que le premier quotidien régional français, puise ses racines dans la démocratie-chrétienne et que la famille Hutin qui est à sa tête depuis la création entend bien maintenir la barre, tout en tenant compte d’une zone de diffusion qui a basculé au socialisme au fil des dernières décennies.

Mais avec la loi sur le mariage pour tous, l’attitude des responsables rédactionnels s’est durcie.  » Depuis l’an dernier, dès qu’on parle mariage pour tous, avortement ou euthanasie, nous avons eu droit à une avalanche d’éditos et de papiers « très équilibrés » (sic) et retouchés « , témoigne un membre de la rédaction. Et le vase a débordé en fin de semaine passée avec l’insertion d’une publicité en faveur de la Manif pour tous. En effet, la charte d’Ouest-France, repose eur le triptyque  » Dire sans nuire, montrer sans choquer, dénoncer sans condamner « . Et lors de l’entrée dans l’entreprise, tous les journalistes doivent faire une dissertation lors sur le thème : « Un journaliste peut-il faire une erreur ? »  » Alors, vous comprenez que les journalistes ne pouvaient laisser passer cela « , poursuit ce confrère.

 » La direction a commis une faute « 

Et un tract intersyndical signé de la CFDT, de la CGT et du SNJ dénonce qu’  » au fil des ans, ce qui était inconcevable à Ouest-France, comme accepter des publicités émanant de partis politiques ou susceptibles d’heurter la conscience de nos lecteurs, est donc devenu possible ! «  Les journalistes qui connaissent bien la baisse des ventes, la situation alarmante et le plan social en cours de s’interroger.  » Cette situation suffit-elle à justifier qu’Ouest-France renie ses valeurs et son identité pour 30 deniers… ou quelques billets de 500 euros ? On peut dire sans nuire, montrer sans choquer…dès lors qu’on encaisse sans broncher… pour une cause qui épouse les convictions des dirigeants du journal ! « 

Pour le coup, l’intransigeance de certains catholiques conjuguée aux options personnelles des responsables du journal et à la volonté de satisfaire un lectorat traditionnel âgé laissera des traces au sein de l’entreprise. Le tract intersyndical en conclut-il pas en soulignant que  » la direction d’Ouest-France n’a pas seulement commis une erreur, elle a commis une faute qui entache l’honneur du journal et a soulevé l’indignation de ses salariés. « 

 

 

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