Pourchasser tous les intégrismes

Posté le par dans Autant en emporte le vin
 (© Pierre Nouvelle)

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Par Jean-François Cullafroz, journaliste

J’étais sur une route bourguignonne lorsque l’info m’est parvenue. Brutale. Une paire de claques en pleine figure. Deux terroristes avaient tiré à la kalachnikov en pleine conférence de rédaction de Charlie hebdo.

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Au fil des minutes et des sessions d’actualité en continu, le drame décrit par la radio s’est précisé. Tout l’après-midi, les communiqués, les mèls sont arrivés en rafale. Les victimes ont pris une figure plus proche : il y avait bien sûr ceux qui nous ont éclairé, les dessinateurs de Charlie : Wolinski, Cabu, Charb, Tignous, Honoré, il y avait aussi ceux que notre compagnonnage syndical à la CFDT nous a fait rencontrer : Bernard Maris dont nous n’entendrions plus la voix qui nous faisait tellement de bien le vendredi matin sur France Inter, Fabrice Nicolino, pigiste chez Bayard grièvement blessé… Tous, dessinateurs ou « baveux » : des journalistes fiers de faire leur métier contre vents et marées. Sans oublier d’autres salariés ou ami-e-s présent-e-s sur place.

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A 18 heures, alors qu’à Lyon, Paris, Lille, Toulouse, avec mon épouse, nous étions bien seuls sur les marches de la mairie d’Autun. Ce jeudi matin, le rassemblement était plus fourni heureusement… Nous avons parcouru les rues désertes et à 20 heures, nous étions dans un kébab quand le président a pris la parole. Spontanément, le patron, un Turc originaire d’Ankara a forcé le son et le silence s’est fait. Jeunes et plus âgés, nous étions tous scotchés à l’écran, tous concernés, tous meurtris… Nous étions tous Charlie.

Une presse libre : un cri du cœur

En Morvan, sous l'occupation allemande, on a bien mesuré la nécessité d'une presse libre (© Pierre Nouvelle)

En Morvan, sous l’occupation allemande, on a bien mesuré la nécessité d’une presse libre (© Pierre Nouvelle)

Aujourd’hui, l’assemblée d’un club de retraités d’une petite commune morvandelle s’est ouverte sur l’évocation de la tragédie. Pour nombre d’anciens qui étaient là et qui ont vécu l’occupation allemande, pas besoin d’expliquer l’importance d’une presse libre.

Et puis, au terme d’une longue journée où la colère a fait place à la réflexion (merci France Culture), je couche ces quelques remarques.

Ce qui est en cause, c’est le fanatisme qui broie les corps, les intégrismes qui mutilent la pensée, et tout ce qui fait obstacle à la réflexion, au rire et à la libre critique.

Sur le sable, sur la neige... , j'écris ton nom : LIBERTE En Morvan, sous l'occupation allemande, on a bien mesuré la nécessité d'une presse libre (© Pierre Nouvelle).

Sur le sable, sur la neige… , de l’Huma au Figaro, j’écris ton nom : LIBERTE (© Pierre Nouvelle).

 

Aujourd’hui, ce sont des jeunes qui se réclament du prophète et d’Allah. Mais que dire des manifestants catholiques qui ont fait interdire une pièce de théâtre et fermer une exposition, alors qu’il y a trente ans ils avaient menacé les salles de ciné affichant La Religieuse ? Que dire de l’attitude dure, intransigeante, sans mesure, et parfois ponctuée d’imprécations, et mêmes de prières, catholiques et musulmanes réunies ? Que penser de blogs juifs d’information stigmatisant dans chacune de leurs éditions les musulmans et assimilant en permanence l’Autorité palestinienne au Hamas ? Comment qualifier la réaction en solidarité avec la population de Gaza et dénonçant l’intervention israélienne sans jamais réclamer la paix et sans s’ooposer aux fusées parties de cette enclave, arguant de la disproportion des armes entre les deux camps ? Comment qualifier les slogans tronqués, vindicatifs, haineux de la droite extrême ?

Je suis chrétien, je puise les racines de ma foi dans les textes hébraïques, et je soutiens les droits du peuple palestinien depuis mes reportages lors la première Intifada. Je suis opposé au racisme, à l’antisémitisme et l’islamophobie. Mais je suis surtout, et avant tout, journaliste carte 49 272. Attaché aux droits humains, à la laïcité, à la République qui nous veut libres, égaux en droits et devoirs, et frères.

C’est la démocratie qui trinque

Il y a six mois, le 31 juillet 2014, lors du 100e anniversaire de l’assassinat de Jaurès, nous avons pris la parole à Paris, pour défendre la liberté d’expression des sources des journalistes. Nous portions une caricature de Plantu. Nous avons porté une lettre à François Hollande, et fin novembre nous avons réitéré aux collaborateurs du président de la République les demandes urgentes d’une profession. Une profession qui veut pouvoir travailler sans entraves. Ni celles des intolérants de tous bords, ni celles même de l’Etat ou des pouvoirs, quels qu’ils soient.

Il y a vingt ans, lors d’une manifestation pour la défense de l’abattement fiscal des journalistes, notre banderole arborait le slogan : « Quand les journalistes sont malmenés, méprisés, attaqués, c’est la démocratie qui trinque ! »

Cette protestation reste totalement d’actualité, et on peut ajouter que c’est la barbarie qui gagne une manche.

Face aux barbares, la force du droit En Morvan, sous l'occupation allemande, on a bien mesuré la nécessité d'une presse libre (© Pierre Nouvelle).

Face aux barbares, la force du droit En Morvan, sous l’occupation allemande, on a bien mesuré la nécessité d’une presse libre (© Pierre Nouvelle).

 

Mais notre responsabilité est aujourd’hui entièrement convoquée. C’est à nous journalistes : dessinateurs, rédacteurs, reporters-caméramans, éditeurs de blogs… , qu’il appartient de faire entendre la voix de la population, le désarroi montant, l’incompréhension croissante face aux errances  d’une République à bout de souffle, incapable de faire vivre une vraie démocratie.

Les sentinelles, les veilleurs, les lanceurs d’alerte, ce doit être les journalistes, aux côtés de tous ceux qui sont épris de citoyenneté.

 

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A l’heure où je boucle ce papier, Mathieu Gallet, PDG de Radio France parle en compagnie de Serge July et de Christophe Deloire, directeur de Reporters sans frontières dans l’émission « A live » de Pascale Clark. « C’est la première fois qu’on entre dans une rédaction pour exécuter des journalistes », souligne le co-créateur de Libé. Et le patron du groupe public de radiodiffusion conclut : « quand on veut tuer le rire, c’est le bonheur qui est visé ».

Faisons tous que Charlie vive, car derrière c’est notre raison de vivre qui est en jeu.

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