Philippe Frémeaux : un militant humaniste soucieux de transmettre

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Par Jean-François Cullafroz-Dalla Riva, journaliste professionnel honoraire, carte de presse 49272, correspondant du Courrier (quotidien à Genève)

 » Le magazine Alternatives Économiques est étroitement lié à deux journalistes talentueux, précurseurs et engagés : Denis Clerc, son fondateur, et Philippe Frémeaux, longtemps directeur de la rédaction puis éditorialiste. Notre confrère a tiré sa révérence le 3 août 2020, et ici, avec Christian Chavagneux et Guillaume Duval, ses anciens collègues, nous rendons hommage à ce militant dévoué au collectif.

Christophe Chavagneux, éditorialiste du mensuel Alter Eco a rendu hommage à son prédécesseur ( © DR/Alternatives Économiques).

Voici ce que notre confrère a notamment écrit sur son prédécesseur:

 » Notre socle commun « 

 » Philippe Frémeaux a marqué notre histoire en lui léguant plusieurs choses importantes. D’abord, un sens aigu du collectif. Alter Eco n’est pas une entreprise comme les autres.

C’est un orchestre rassemblant des solistes qui doivent produire, ensemble, un journal. Si le chef d’orchestre n’est pas bon, la cacophonie guette.

Philippe avait l’autorité et l’empathie nécessaires pour nous faire travailler tous ensemble, coordonnant, relisant, conseillant, etc., pour nous aider à nous améliorer au jour le jour. « 

Un engagement forgé à l’aune de mai 68

Guillaume Duval, qui occupa les mêmes fonctions que lui au sein du journal, revient aussi sur le déroulement d’une vie bien remplie, mais trop tôt arrêtée ( © DR/Alternatives Économiques).

 » Né le 1er octobre 1949 à Villemomble, dans la famille d’un pharmacien, Philippe Frémeaux était le benjamin d’une fratrie de quatre enfants. Sa mère était d’ascendance suédoise, un héritage luthérien qu’il rappelait volontiers.

Ce sont les événements de mai 1968 qui précipitent son engagement. Après avoir obtenu son bac en 1966, il entreprend des études de droit et de sciences économiques à Paris.

Il s’oppose alors régulièrement à l’extrême droite, très puissante à l’époque à Assas, tout en militant au sein des Cahiers de mai, une publication qui, à l’opposé de l’avant-gardisme marxiste-léniniste à la mode à l’époque, entendait faire reposer la critique du système d’abord sur des enquêtes de terrain menées auprès des ouvriers au sein des entreprises.

« Ce qui caractérisait l’Occident, c’était de penser l’universalité tout en niant la possibilité de la différence au nom de son propre modèle, jugé seul réellement universel », disait-il.

Grand voyageur depuis déjà son adolescence

Il interrompt cependant ses études pendant un an pour entreprendre entre octobre 1970 et juillet 1971 avec son ami Théo Spiesser un périple en Afrique qui l’amènera à traverser une vingtaine de pays, du Maroc à l’Éthiopie pour revenir du Kenya à la Côte d’Ivoire en passant par le Rwanda, le Congo ou le Mali.

Un voyage, inimaginable de nos jours, qui sera très structurant pour lui et qu’il évoquera souvent.

« Nous avions appris au moins une leçon, que j’ai conservée à mon retour, et toute ma vie depuis, qui était que l’universalité de l’espèce humaine n’était pas contradictoire avec l’infinie diversité des cultures et des civilisations », écrira-t-il dans ses souvenirs rédigés ces derniers mois.

« Ce qui caractérisait l’Occident, c’était précisément de penser l’universalité tout en niant la possibilité de la différence au nom de son propre modèle inconsciemment – ou consciemment – jugé seul réellement universel », ajoutait-il.

Ses voyages précoces ont forgé chez lui un profond sens de l’universalité ( © DR/Alternatives Économiques).

Attaché à la promotion des sciences économiques et sociales

A son retour de voyage, plutôt que de poursuivre dans la voie royale de Sciences Po et de l’ENA où il était engagé, il choisit de passer le Capes de sciences économiques et sociales (SES) qu’il obtient en 1974. Il enseignera cette matière de 1975 à 1983 au Lycée Hector-Berlioz de Vincennes.

Il quittera alors l’Éducation nationale, mais restera toute sa vie très attaché aux SES et à leur défense. Cet enseignement novateur tant sur le plan de son contenu alliant économie, sciences politiques et sociologie que de la pédagogie employée, basée alors souvent sur l’analyse de faits d’actualité, sera en effet constamment victime ces dernières décennies d’une intense campagne de dénigrement de la part de la droite et des milieux patronaux.

Cette expérience pratique de la pédagogie de l’économie sera évidemment un atout majeur pour son activité journalistique ultérieure au sein d’Alternatives Économiques. Au-delà des seules SES, les questions d’éducation occuperont toujours une place particulièrement importante dans ses préoccupations. Il rédigera ainsi en 2012 avec Nicole Geneix, alors secrétaire générale du SNUIPP, un ouvrage au titre très explicite : Et si on aimait enfin l’école !, publié aux éditions Les Petits Matins.

Entrée en journalisme par un « canard » de quartier parisien

Parallèlement à son travail d’enseignant, il s’engage dans une activité à la fois militante et journalistique au sein du Canard du XIIIème, un journal sur l’actualité du XIIIe arrondissement de Paris qui aura dans les années 1970 un écho important dans ce secteur de la capitale.

Il s’agissait là encore non pas de distribuer la bonne parole mais de partir des réalités du terrain pour critiquer une politique parisienne alors encore très pompidolienne, faite de tours, de dalles et de radiales. C’est aussi dans ce contexte que Philippe Frémeaux rencontra sa femme, Christine Canuet, avec laquelle il aura par la suite deux enfants, Alexis en 1983 et Alice en 1985.

A ce moment-là, Philippe Frémeaux est un membre actif de la première mouvance écologiste. Il se vantera souvent d’avoir participé à la première manifestation à vélo organisée en France et sera candidat sur les premières listes écologistes aux élections municipales à Paris en 1977. Ce sera cependant son seul engagement électoral et partisan actif, par la suite, il préférera plutôt intervenir dans le débat public par le biais de son activité journalistique.

Le Canard du XIIIème lui ayant donné goût à la chose, il deviendra par la suite pigiste au Monde, où il publia entre 1979 et 1983 des articles consacrés au mariage blanc, aux prudhommes ou encore à l’argent des caisses de retraite.

Sens des affaires et envie d’entreprendre…

ELes Journées de l’économie autrement sont un carrefour de réflexions et d’expérience qui se réunit régulièrement à Dijon depuis 2017 ( © DR/Alternatives Économiques).

Lorsqu’il quitte l’Éducation nationale en 1983, c’est pour entrer au BIPE, un organisme de conseil aux entreprises et aux décideurs publics fondé par François Bloch-Lainé et Claude Gruson. Philippe Frémeaux a toujours eu en effet le sens et l’envie d’entreprendre et de faire des affaires.

Au BIPE, qu’il ne quittera complètement qu’en 1999, il mènera de nombreuses études pour le compte du ministère de l’Industrie, à une époque où le gouvernement cherchait à renforcer la politique industrielle, ou de la Commission européenne.

Il conseillera également de nombreuses grandes entreprises, notamment dans le secteur des équipements électriques, et deviendra grâce à cela un bon connaisseur du tissu industriel français.

Ce qui le différenciera de la plupart des économistes, qu’ils soient orthodoxes ou pas, qui n’ont en général qu’une connaissance très superficielle de la réalité du marché et de ses acteurs.

C’est en particulier cette connaissance profonde des entreprises qui lui permettra de ne jamais céder aux sirènes qui ont attiré tant de responsables de gauche, généralement fonctionnaires d’origine, fascinés par un discours patronal néolibéral qui a pourtant fort peu à voir avec la réalité du monde de l’entreprise.

….appliqué à Alternatives Économiques

Sous sa direction, Alternatives Économiques connaîtra un développement rapide dans les années 1990, devenant un des principaux titres de référence de la presse économique en France

Parallèlement, sa trajectoire prend un autre tournant lorsqu’il rencontre en 1982 Denis Clerc, lui aussi enseignant en économie, membre du PSU et proche de la CFDT, qui avait fondé deux ans auparavant la revue Alternatives Économiques, en réponse au « There is no Alternative » (TINA) de Margaret Thatcher.

Il fait son entrée au sein de son comité de rédaction. A l’époque, la revue est encore jeune et peu diffusée. Elle commence cependant à rencontrer l’intérêt des professeurs de SES des lycées, qui l’utilisent volontiers pour appuyer et illustrer leurs enseignements. L’intégration de cet enseignant au sein de sa rédaction aux côtés de personnalités comme Jean Pisani-Ferry ou Hugues Sibille arrive à point nommé.

Soutien mais aussi critique de l’économie sociale et solidaire

Bien que patron d’une Scop, Philippe Frémeaux savait être critique à l’égard de l’économie sociale et solidaire. En 2013, nous l’avions rencontré et il précisait sa pensée sur cette alternative au système économique libéral.

(à suivre)

Notre prochain article :

Philippe Frémeaux : un destin lié à l’aventure d’Alter Eco

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