Anish Kapoor : du Palais de Versailles au couvent d’Eveux

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Reportage de François Dalla-Riva journaliste honoraire carte de presse 49272, correspondant en Rhône-Alpes du quotidien Le Courrier (Genève)

"oeuvre d'art à part entière, notre ouvent se doit d'accueillir l'art contemporain en son sein", souligne le frère Marc Chauveau, initiateur de la venue d'Anish Kapoor (© Pierre Nouvelle).

« Œuvre d’art à part entière, notre couvent se doit d’accueillir l’art contemporain en son sein », souligne le frère Marc Chauveau, initiateur de la venue d’Anish Kapoor (© Pierre Nouvelle).

La venue de l’artiste indien dans le couvent dominicain de la Tourette à Eveux relève d’une volonté, d’un désir et d’une rencontre. Volonté et désir du Frère Marc Chauveau, et rencontre à Londres puis dans le Rhône, pour les deux partenaires. Les treize œuvres installées pendant les trois mois de la 13e biennale d’art contemporain de Lyon, vont créer de multiples mouvements. Celui des plasticiens, amateurs d’art contemporain et curieux qui ignoraient ce lieu construit par Le Corbusier. Mouvements aussi au sein de la communauté dominicaine qui est interpellée, bousculée… Mouvement aussi pour l’Eglise catholique du diocèse de Lyon appelée à vivre concrètement les déplacements que souhaite de ces vœux le pape François. Récit d’une visite en terre de Côteaux-du-Lyonnais.

Dès l'entrée, Non object, un miroir vertical en acier inox accueille le visiteur et entre dans le jeu des reflets qui est un des traits de l'exposition (© Pierre Nouvelle).

Dès l’entrée, Non object, un miroir vertical en acier inox, accueille le visiteur et entre dans le jeu des reflets qui est un des traits de l’exposition (© Pierre Nouvelle).

Depuis sept ans, le frère Marc Chauveau accueille des plasticiens contemporains dans le couvent auquel il appartient, celui de la Tourette à Eveux-sur-l’Arbresle. Une originalité qui n’a pas été reprise dans d’autres lieux religieux (Ronchamp, Firminy) construits par l’architecte franco-suisse Charles-Édouard Jeanneret-Gris dit Le Corbusier. Un bel hommage en cette année du 50e anniversaire de sa mort.

De François Morellet en 2009 à Philippe Favier l’an passé, neuf plasticiens ont posé leurs œuvres dans ce havre de paix. Aussi, la venue de l’artiste international Anish Kapoor n’est donc pas a priori surprenante. Et pourtant, Dirty Corner, l’œuvre installée dans le parc du château de Versailles et taggée cet été a eu pour conséquence de braquer les projecteurs sur ce lieu de travail, d’études, de réflexion et de prière.

Située à une trentaine de kilomètres de Lyon, l'exposition de l'artiste britannique d'origine indienne attire plusiuersdizaines de visiteurs peu enclins habituellement à visiter des lieux de spiritualité (© Pierre Nouvelle).

Située à une trentaine de kilomètres de Lyon, l’exposition de l’artiste britannique d’origine indienne attire plusieurs dizaines de visiteurs par week-end, peu enclins habituellement à visiter des lieux de spiritualité (© Pierre Nouvelle).

 » Plus de 120 journalistes étaient présents au vernissage, et nous recevons plusieurs dizaines de personnes chaque wek-end », souligne le Frère Marc Chauveau qui n’en est pas à ses débuts. Ce religieux entré dans l’ordre de St Dominique il y a vingt ans, a passé une licence d’histoire de l’art à l’Ecole du Louvre, et il enseigne dans l’établissement lyonnais du groupe des Ecoles d’arts et de culture. « Cela faisait longtemps que j’avais envie d’inviter cet artiste. Son œuvre consonne parfaitement avec l’architecture de Le Corbusier : jeux de lumières, couleur rouge… », explique le frère prêcheur.

Un langage universel

La rencontre entre le religieux et l’artiste indien, né à Mumbay (Bombay) mais aujourd’hui totalement britannique, a été d’autant plus réussie qu’Anish Kapoor est à l’aise dans la sphère spirituelle. Ce fils d’une mère juive qui a passé deux ans dans un kibboutz, est fortement intéressé par tout ce qui élève.

L’artiste parle un langage universel qui peut faire sens pour tous, que l’on soit ou non adepte d’une religion, et pour tous les peuples, car il puise sa verve dans les racines de l’humanité. « Notre propos est de favoriser le dialogue », insiste Marc Chauveau. Et de fait, le dialogue entre la chair, l’âme et l’esprit trouve ses racines dans la philosophie antique.

Les miroirs en spirale jouent avec les puits de lumièreimaginés par Le Corbusier, comme ici dans l'église du couvent d'Evuex (© Jacqueline Gevrey)

Les miroirs en spirale jouent avec les puits de lumière imaginés par Le Corbusier, comme ici avec Spire 4, dans l’église du couvent Ste Marie-de-le-Tourette à Eveux (Rhône) (© Jacqueline Gevrey)

Le lieu dominicain d’Eveux a été construit en 1959 par Le Corbusier. « C’est un véritable chef d’œuvre d’art contemporain », souligne le Frère Marc Chauveau qui est le commissaire de l’exposition et qui a donné ici à treize œuvres d’Anish Kapoor un écrin de choix. Dans cette 13e Biennale, treize œuvres à l’instar des treize frères qui forment la communauté, et aussi des treize personnes qui constituèrent, avec Jésus, le premier groupe évangélique. « Pur hasard », nous répond-t-on quand on pose la question. Voire !

Loin du buzz médiatique relatif aux graffitis antisémites qui ont taggé sa sculpture exposée dans les jardins du palais de Versailles, l’artiste a choisi avec le Frère Marc Chauveau les pièces où il a  exposé son travail. De fait, ces installations sont de bonne facture, le crépi blanc de certaines salles jouant avec les tons rouges des assemblages aux tonalités de sanguines. De même, les miroirs jouent avec le gris du béton brut, renvoyant chaque visiteur à sa propre intériorité ou l’ouvrant aux profondeurs du firmament.

Implanté à la base du bâtiment, et dans la seule partie affichant des lignes courbes, Sky mirror casse la verticalité du couvent tout en renvoyant vers l'infini du firmament (© Pierre Nouvelle).

Implanté à la base du bâtiment, et dans la seule partie affichant des lignes courbes, Sky mirror casse la verticalité du couvent tout en renvoyant vers l’infini du firmament (© Pierre Nouvelle).

Corporel et spirituel

La succession de miroirs évoquant le reflet et la nature spirituelle, jonglent avec des sculptures faites de cire et de pigments. Cette succession renvoie à la dimension charnelle et l’incarnation. Des thèmes qui irriguent le fondement même de la foi chrétienne, et trouvent sens dans une perspective que symbolise certains objets de Kapoor.

L'intensité de l'incarnation est rendu ici par ce travail sur la cire et les pigments avec la couleur rouge chère à Anish kapoor (© Pierre Nouvelle).

Avec Disrobe, un alliage subtil de silicone et de pigments, l’intensité de l’incarnation est rendu ici par ce travail sur la cire et les pigments avec la couleur rouge chère à Anish Kapoor (© Jacqueline Gevrey).

Pour Marc Chauveau, dialoguer avec le monde et ses potentialités (artistiques par exemple), ouvrir son couvent, aller à la périphérie, fuir le repli frileux, tout cela s’inscrit dans la volonté répétée par le pape François depuis trois ans. Dans cet esprit, le frère dominicain explique sa démarche.

Marine est étudiante à l’Ecole d’arts et culture à Lyon où elle prépare un master de management culturel. Elle a assisté le Frère Chauveau dans la préparation de l’exposition et le suivi des relations extérieures et de la presse. Chargée d’accueillir le public, elle a été la première spectatrice de cette exposition inédite dans ce couvent construit par Le Corbusier. Elle livre son sentiment sur les œuvres d’Anish Kapoor.

L’exposition de Kapoor à La Tourette s’inscrit à part entière dans la 13e biennale d’art contemporain de Lyon qui s’interroge sur le monde moderne et tient sa base à la Sucrière au bord de la Saône. Elle est visible jusqu’au 3 janvier 2016.

De la Sucrerie au bord des quais lyonnais de la Saône au couvent dominicain aux portes du Beaujolais, l'art contemporain vient interpeller sur notre société et le devenir de l'homme (© Pierre Nouvelle).

De la Sucrerie au bord des quais lyonnais de la Saône au couvent dominicain aux portes du Beaujolais, l’art contemporain vient interpeller sur notre société et le devenir de l’homme (© Pierre Nouvelle).

Des visites guidées sont régulièrement proposées, pour découvrir le couvent et simultanément visiter l’exposition Anish Kapoor. De surcroît, un catalogue réalisé par les éditions Bernard Chauveau sera disponible prochainement;

Un lieu de rencontres, de conférences et de formation

L'exposition Anish Kapoor s'insère dans un programme de plus de vingt rendez-vous des Rencontres 2015-2016 (© Pierre Nouvelle).

L’exposition Anish Kapoor s’insère dans un programme de plus de vingt rendez-vous des Rencontres 2015-2016 du couvent de La Tourette (© Pierre Nouvelle).

Depuis six ans, le couvent Ste Marie-de-la-Tourette à Eveux (Rhône) propose les Rencontres. Au programme de la saison 2015-2016, plus d’une vingtaine de propositions qui touchent les domaines de la théologie et de la spiritualité en général (Zen et Islam y ont leur place), de la philosophie et de l’art bien sûr, la musique (classique et contemporaine) y trouvant leur place.

Le frère Pascal David est responsable de ces Rencontres. Il présente les différentes facettes de la saison 2015-2016 et le fil rouge qui les relie.

A noter que, comme dans la plupart des monastères, abbayes ou couvents, à Eveux, on peut demander à séjourner librement ou participer à des retraites organisées.

Renseignements : 00 33 (0)4 72 19 10 90 et accueil@couventdelatourette.fr – www.couventdelatourette.fr

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