Présidence Hollande : le poète Bernard Noël s’indigne

Posté le par dans Coup de gueule

(© DR)

Bernard Noël est romancier, poète, critique d’art, publié par les éditions POL, Flammarion et l’Amourier. Il est en prise totale avec la vie quotidienne, et ici le critique d’art se mue en critique de la réalité sociale. Il y a un mois, bien avant le débordement médiatique autour des aveux de l’ex-ministre du Budget, il a tiré le bilan de dix mois de présidence socialiste. Des promesses à la réalité, le fossé est dur à accepter. Les premiers mois de la présidence Hollande lui ont inspiré les lignes qui suivent. Nous les publions avec plaisir (1).

Les restes

par Bernard Noël, poète, essayiste, romancier, critique d’art      

Chaque jour davantage de chômeurs, davantage de faillites, davantage de misère : comment s’opposer à ce mouvement désastreux ? Une majorité a cru trouver le bon remède politique en portant au pouvoir un gouvernement socialiste, il y a un an. Les élections dites « démocratiques » furent en réalité médiatiques. Il ne pouvait en être autrement car le président précédent avait fait de l’agitation médiatique un moyen de gouverner en trompant le plus grand nombre au profit du plus petit. Cette situation, devenue trop apparente,  avait créé un besoin de justice sociale pour en finir avec le culte des privilèges très visiblement affiché.

Le futur nouveau président et son entourage semblaient alors comprendre que leur élection représenterait la volonté d’un redressement social inséparable du redressement économique. Désormais, l’emploi primerait sur les dividendes, la justice fiscale sur les abattements favorables au seul capital, le respect de la personne sur l’arrogance policière. Au cours du grand rassemblement populaire qui débutait sa campagne électorale, le futur président avait eu cette exclamation inoubliable : « Je n’ai qu’un ennemi, c’estla Finance ! » Et le mot « changement » s’était imposé comme le principe fondateur du prochain pouvoir.

Quel changement ?

Le changement a bien eu lieu, et très rapidement, mais il n’a changé que son propre sens et ses promesses. Ce retournement est si complet que le gouvernement socialiste s’est vite inscrit dans la continuité de l’ancien État de droite mais en aggravant la situation qu’il aurait dû pacifier. Ce désastre n’a qu’un avantage : celui de généraliser la conscience que la politique, pour ranimer la citoyenneté, devrait avant tout promouvoir une articulation de la langue qui garantirait la coïncidence des mots et de la réalité. L’élection du gouvernement socialiste a d’ailleurs reposé sur l’espoir de cette justesse, qui éclaircirait tous les problèmes en attendant de les résoudre.

La clarté, qui restaure le langage commun dans la certitude que le discours ne trompe pas, restaure aussi la relation entre le pouvoir et les citoyens. Un courant de confiance fait alors qu’on n’est plus dans la fausse monnaie verbale mais dans un sentiment d’égalité dû au partage d’une même réalité. Et ce sentiment suscite une responsabilité pareillement partagée dans l’élan d’une compréhension réciproque.

Au lieu de quoi, le changement a changé si vite de sens que son vocabulaire s’est vidé dès qu’il a commencé à servir. L’affirmation, qui fut panache, n’est plus que pensée en berne tandis que le citoyen en arrive à se demander s’il ne valait pas mieux un ennemi dont les mauvais coups étaient prévisibles qu’un « ami » dont les trahisons le prennent au dépourvu.

La référence au socialisme, un artifice pour la prise de pouvoir ?

Comment ne pas en conclure que tous les moyens sont bons pour prendre le pouvoir, à commencer par le mensonge et le parjure, indispensables condiments de la réussite démocratique surtout dans sa version médiatique. Quand seule compte la prise du pouvoir, cette prise justifie tout ce qui l’a permise, et de toute évidence il n’y a pas d’autre règle morale que la réussite. L’efficacité est l’unique critère et le cynisme la meilleure posture. L’étrange est que cela crève les yeux mais que le citoyen ne se résigne pas à une vue qui le rend plus vulnérable que lucide.

Le socialisme fut, il y a un an, un moyen de prendre le pouvoir et non de changer la société. Cela posé, il faut bien se demander si le pouvoir et la politique ont un autre rapport que la manipulation de la seconde par le premier à son seul bénéfice. Conséquence : la politique ainsi dénaturée n’est plus au bout d’un an d’exercice du pouvoir socialiste qu’un déchet sans aucune commune mesure avec la réflexion sur la condition sociale dont elle se réclame. De plus, ce misérable reste empoisonne et salit tout l’espace de la citoyenneté.

(1) Les intertitres sont de la rédaction

5 commentaires

  1. Katy Remy 7 avril 2013 à 15 h 12 min

    Cher Bernard, nous n’en attendions pas moins de toi.
    Tu n’as pas pu venir à Nice cet intervention nous fait un clin d’oeil.
    L’exercice du pouvoir suffit à en vider le sens.
    Cependant, quand un peuple est frustré dans des attentes qui concernent les nécessités indispensables à sa survie, la liste de ce qu’il voudrait obtenir en votant pour son candidat est si longue qu’aucun peut-être ne pourrait y répondre. La situation au moment de l’élection prend en charge des décennies d’erreurs locales et doit s’accommoder de la situation internationale avant d’envisager de la bouleverser positivement.
    Le candidat est donc contraint d’énoncer des solutions rapides et satisfaisantes pour les électeurs sur tous les points. S’il ne le fait pas il perd son électorat. Donc il le fait tout en sachant qu’il ment.
    Les candidats qui tentent de faire autrement ne sont pas élus.
    J’aimerais me tromper. Mais sans d’une vraie révolution avec entendons nous, de vrais martyrs, de vraies balles, ton voisin devenant ton ennemi, tes proches séparés par des chevaux de frise, s’entrevisant par les fenêtres, la suspension, de l’économie, des salaires, des aides sauf celles des Croix Rouges et Vertes, et l’entrée dans un temps indéterminé, non seulement l’extermination des chefs, des nantis, mais en retour celle de tout un chacun par ricochet en sorte, rien ne changera.
    Même les plus radicaux n’envisagent certainement pas la France dans cette phase de son Histoire, ne se voient pas comme à Beyrouth.
    N’oublions pas que ce qui rend plus difficile encore cette sorte de remise en marche par le feu c’est qu’il ne doit rester aucun homme des partis actuels et qu’il faut rêver un nouveau monde où le pouvoir ne conduirait à aucun des débordements que nous connaissons, que d’autres régimes ont connu, un nouvel exercice du pouvoir par des hommes entièrement neufs.
    Je te salue amicalement, Katy Remy

  2. Raymond Bozier 7 avril 2013 à 18 h 37 min

    Dans Bords de mer, pachez Flammarion, il y avait ceci écrit en mars 1986, après des élections : « Ils avaient dit qu’ils changeraient la vie, mais ils n’ont rien touché, craignant sans doute de trahir leur propre vie ».

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  4. QUENTIN B 31 mai 2013 à 19 h 49 min

    merci d’avoir fait passer les paroles du poète que je ne savais pas, j’avais voté blanc au 1er tour, puis au 2ème voté à contrecœur et sans illusions pour le fromage

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