Par Jean-François Cullafroz, journaliste carte de presse 49272
Liberté, que n’écrit-on en ton nom ! Et quels flots de paroles et d’images se déversent pour te célébrer ! En France, des voix s’élèvent pour récuser la solidarité nationale avec Charlie Hebdo et les dix-sept personnes assassinées. A l’Est de la Méditerranée, mais aussi en Afrique et en Asie, des manifestations violentes se sont déroulées. Des réactions qui méritent attention et réflexion.
Pour la France, il faut sans doute redémarrer par les fondamentaux : la Révolution française, celles de 1830, 1848 et la Commune de Paris. Puis le combat de la Résistance contre l’Etat Français de Vichy et l’armée allemande et les sbires nazis.
Comme Aragon, Paul Eluard réfugié chez René Tavernier dans sa petite maison des hauts de Montchat à Lyon, a pu écrire de magnifiques textes sur la liberté. Comme son poème appris en classe, dont j’extrais quelques vers :
Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom
Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom…
Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer… Liberté.
La France, qui n’est pas exempte de guerres de religions et de massacres, d’assassinats au nom du progrès de la colonisation, plonge sa réaction d’un long chemin qui fut peuplé de morts et d’embûches. Il reste que sa Constitution intègre la liberté d’expression et la liberté de la presse parmi ses principes fondateurs. Défendre ces libertés fondamentales et lutter pour leur promotion à travers le monde, évacue-t-il toutes limites ?
Blasphème, injure ou diffamation ?
La loi en liste un certain nombre et réprime ainsi les abus et entorses à cette liberté : injure, diffamation, apologie de la haine et du rerrorisme, racisme, antisémitisme et xénophobie, homophobie … et aussi droit personnel à préserver son image et sa vie privée. Le libre exercice du métier de journaliste se situe donc entre ces deux pôles.
Mais la France, hormis les départements d’Alsace-Moselle où s’applique le régime du Concordat, ne reconnaît pas le blasphème. D’ailleurs dans les départements du Haut et du Bas Rhin comme d’un seul en Lorraine n’en fait plus usage. Car d’ailleurs comment le définirait-on dans une République laïque. Reste que la République est respectueuse des cultes, du droit de croire et de non-croire et de pouvoir le professer.
Ceci étant, est-ce que dessiner la figure de Mahomet est-il une atteinte à la religion musulmane, et à ceux qui croient en Allah ? Le Prophète est-il Dieu ? Il serait trop simple de s’en limiter à l’Islam tant les fondamentalismes peuvent aussi être l’apanage d’autres religions : les chrétiens, mais aussi l’hindouisme ou le bouddhisme. Des massacres récurrents en attestent. Les chrétiens ont aussi eu leur guerre de la représentation de Dieu, du Christ… ce fut celle des iconoclasmes. On croyait qu’elle avait été dépassée en Occident, mais manifestement non ! Au pays de Platon, de Socrate et d’Aristote, la confession orthodoxe fait parfois aujourd’hui encore montre d’intolérance. Et que dire sur le territoire français ou des Outre-Mer de la part de chrétiens rigoristes ?
Je me rallierai volontiers aux propos de ma consœur Dominique Quinio, qui terminera début février son mandat de directrice de la rédaction de La Croix. Un journal et un groupe de presse (c’était alors La Bonne Presse) a vécu des heures sombres, par exemple au moment de l’affaire Dreyfus.
« Le soutien apporté à l’hebdomadaire satirique et à son équipe exprime un rejet absolu de la violence des terroristes. Il n’ jamais signifié un appui aux dessins naguère publiés, qu’ils concernent ou non les religions », souligne-t-elle. Mais elle ajoute aussitôt : « Il était impossible à l’équipe des « survivants » de céder à l’intimidation, de renoncer aux caricatures qui leur ont valu cette condamnation à mort, de trahir leurs amis »
« Charlie, tel qu’en lui-même », insiste Dominqiue Quinio, pointant ainsi où se trouve le nœud du métier de journaliste : entre liberté et responsabilité. D’aucuns soutiennent que Voltaire n’a jamais dit ou écrit – “Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire”. il reste que son engagement pour défendre et réhabiliter le protestant Calas l’a gratifié du statut de défenseur de la liberté d’opinion.On ne saurait oublier pour autant ses propos, soutenant l’esclavage… Réalité complexe qu’il importe aux journalistes de décrire et mettre en perspective. Liberté qui ne peut aller de pair sans le respect des personnes et des opinions et dignité de sa propre profession, dont les textes déontologiques, au premier rang desquels la Charte de Munich rappellent qu’il n’est ni un policier ni un agent commercial.
Pour clore cet édito, je ne peux passer à côté du chant de Georges Moustaki. Lui le métèque, l’immigré juif d’Alexandrie venu en Grèce avant de rejoindre Paris. De la capitale française, il a mesuré ce que représentait la dictature des colonels et sa main de fer. Revoyons « Z » de Costa Gavras, et chantons avec lui comment nous aimons la liberté et nous voudrions que ce sentiment soit partagé et continue à s’incarne dans des actes concrets