Reportage de Jean-François Cullafroz-Dalla Riva, journaliste professionnel honoraire, carte de presse 49272
La presse écrite ne va pas bien, on le sait, et le journalisme globalement aussi. D’ailleurs, les dernières statistiques 2017 de la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels (CCIJP) le montrent : les nombres de journalistes en général (35 047 cartes de journalistes attribuées), et de nouveaux journalistes en particulier sont en baisse. en France : 1 973 l »an passé, alors qu’auparavant, on dépassait les 2 000 !. Si l’on ajoute à cela, les attaques frontales des responsables politiques (le dernier en date est le cas de Laurent Wauquiez), la mise à l’écart des journalistes par le président de la République, et tout le buzz autour des fausses nouvelles, on comprendra mieux, que pour un.e journaliste digne de ce nom, faire son travail est loin d’être une sinécure. Fort heureusement, des professionnels des médias résistent. Fabrice Nicolino, qui a longtemps déployé ses talents au sein du groupe Bayard-Presse est aussi un membre émérite de la rédaction de Charlie Hebdo. Ce rescapé de la tuerie du 7 janvier 2015, grièvement blessé, il est aussi un militant de CFDT-Journalistes. Il vient de publier deux livres, simples et courts, qui alertent sur la situation de la planète.
On a pu lire dans Charlie-Hebdo du 3 janvier 2018 les témoignages bouleversants de la rédaction, trois ans après l’horrible attentat qui a fait onze victimes, dont huit membres de la rédaction. Parmi ces cris du cœur exprimant la difficulté de survivre et d’écrire et dessiner au quotidien, on notera sur deux pages celui de notre confrère Fabrice Nicolino, grièvement blessé ce jour-là. Militant syndical CFDT, Fabrice est aussi un écrivain qui dispense pédagogiquement ses connaissances. En témoignent ses deux derniers livres : Lettre à une petiote sur l’abominable histoire de la bouffe industrielle et Lettre à un paysan sur le vaste merdier qu’est devenue l’agriculture.
Sa page hebdomadaire dans Charlie, manifeste l’engagement écologique de notre ami. Jour après jour, il démonte les ressorts d’une société mondialisée où le diktat de l’argent conduit gouvernements et entreprises liées à détruire un peu plus la planète, sa biodiversité et l’avenir des vivants, dont l’espèce humaine, qui la peuplent.
Avec son dernier livre (Lettre à une petiote sur l’abominable histoire de la bouffe industrielle), Fabrice Nicolino compile au fil de chapitres courts et denses toutes les dérives qui découlent de choix à court terme et strictement comptables.
Ses propos sont simples et lèvent le voile de complexité que veulent entretenir ceux qui tiennent les manettes de la production des pesticides, de l’agriculture productiviste et de la malbouffe. Pour cela, il n’hésite pas à faire un retour dans l’histoire. Pas besoin de revenir sur les sociétés du néolithique. Non, il s’agit tout simplement pour l’Hexagone de rappeler la révolution agricole de l’après-Deuxième guerre mondiale. Il détaille la mécanisation et la mise en route de la culture intensive avec la complicité de fonctionnaires du Ministère de l’agriculture (y compris de gauche). Il rappelle ce qu’elle a engendré en terme industriel, des abattoirs aux groupes agro-alimentaires forgés à partir d’outils coopératifs que s’était donné le syndicalisme agricole dopé par la Jeunesse agricole chrétienne.
Des deux guerres mondiales à la culture intensive
Dans cet ouvrage, tout comme dans la très brève Lettre à un paysan sur le vaste merdier qu’est devenue l’agriculture, réédité en format poche par les éditions Actes Sud, Fabrice Nicolino souligne deux influences marquantes : celle venue des Etats-Unis en lien avec sa propre révolution industrielle des débuts du 20e siècle, et puis aussi le poids des deux guerres mondiales. Comment, par exemple, Renault ou Berliet, fabricants de chars pour vaincre l’Allemagne entre 1964 et 1917, a utilisé ensuite ses process techniques pour construire des tracteurs capables de concurrencer les machines étatsuniennes Mc Cormick et John Deere, qui avaient traversé l’Atlantique. Ou comment les chaines fordiennes de l’industrie automobile ont été utilisées pour les abattoirs de Chicago, puis par ceux de nos campagnes bretonnes.
Ces deux livres se dégustent par petites gorgées. On peut lire un chapitre un jour, puis un autre plus tard. Et de surcroit, ces opuscules se tiennent en main et restent d’un prix abordables.
Les derniers livres de Fabrice Nicolino :
Lettre à un paysan sur le vaste merdier qu’est devenue l’agriculture, éditions Actes Sud (Babel essais), 100 p., 6,40 €.
Lettre à une petiote sur l’abominable histoire de la bouffe industrielle, édition Les Echappés, 140 p., 13, 90 €
Pour suivre la réflexion de Fabrice Nicolino, voir son blog : https://fabrice-nicolino.com/