Par Jean-François Cullafroz, journaliste professionnel honoraire, carte de presse 49272, correspondant du Courrier (quotidien à Genève).
Le temps de Pâques (Pessa’h) est central pour les fidèles juifs et chrétiens qui à la même période font mémoire. Fête de la libération des Hébreux de leur esclavage en Égypte, pour les adeptes de Jésus-Christ, il constitue un tridium entre dernier repas, la crucifixion et la résurrection, source et sommet de la foi chrétienne. Entrée dans cette célébration dans une paroisse catholique à Ampuis (Rhône).
C’est par un chant consacré au dernier repas juif de Jésus, La Cène renouvelée lors de chaque messe, que débutaient jeudi 14 avril 2022 les messes de ce que les catholiques appellent le Jeudi saint. Remis en exergue, le lavement des pieds des apôtres par Jésus, ce rituel entend rappeler qu’à l’image du Christ, leur maître, les chrétiens doivent être serviteurs de leurs contemporains.
Devant une centaine de fidèles des paroisses Saint-Férreol (Sainte-Colombe-les-Vienne) et Bienheureux Frédéric Ozanam (Condrieu), ce geste a été renouvelé par les trois ministres ordonnés (prêtres et diacre) et des laïcs, femmes et hommes, membres de l’équipe d’animation pastorale.
Ce geste symbolique qu’on appelle le « sacrement du frère » est le prolongement du dernier repas juif de Jésus (le Seder) dont les chrétiens font mémoire lors du partage du pain et du vin, dans ce que les catholiques appellent eucharistie, les protestants Sainte-Cène et les orthodoxes Divine liturgie. Un événement rapporté par l’Évangile de Jean lu en ce premier jour du tridium pascal.
Il est, par excellence, manifestation de l’amour du Christ.
Source et sommet…
Plus que Noël, ce temps mémoriel vécu il y a deux millénaires qui s’actualise lors de chaque messe et culte, forme un tout avec la Résurrection du Christ, et constitue « la source et le sommet de la vie chrétienne ».
Un livre récemment paru aux éditions Artège resitue l’eucharistie au fil de la tradition chrétienne. Le Père Max Huot de Longchamp et Sœur Marie de l’Enfant-Jésus balaient deux millénaires d’écritures, homélies et exordes, notamment des Pères de l’Eglise.
De la Didaché, un des premiers textes chrétiens connus aux papes Jean-Paul II et Benoit XVI, cet ouvrage livre quatre-vingt petits textes qui revisitent le sens de l’eucharistie. Irénée de Lyon insiste sur « l’offrande de ce que nous avons reçue », tandis qu’Augustin d’Hippone invite à « devenir ce que l’on reçoit ». Jean Chrysostome parle d’« un unique sacrifice », tandis que Bonaventure de Banoregio met l’accent sur la « nourriture spirituelle ».
L’Eucharistie (éditions Artège) est un florilège facile à lire et source de nombreux éclairages sur ce que les chrétiens qualifient de sacrement.
Quelle incarnation actualisée ?
Le pape François l’a rappelé à de multiples reprises depuis son élection : l’eucharistie et le lavement des pieds doivent trouver des prolongements concrets dans la vie quotidienne au 21e siècle, que cela passe par l’accueil de l’étranger comme de la préservation de la nature et de l’humanité dans le cadre d’une « écologie intégrale » ?
A ce titre, on ne peut que s’étonner de la frilosité des évêques français dans le cadre de l’actuelle campagne électorale présidentielle française. A la différence des instances religieuses de la communauté juive et même de l’épiscopat catholique en 2002, ils se sont contentés de rappeler la « doctrine sociale » de l’Eglise, sans mettre en lumière les dangers des idées et objectifs de l’extrême-droite.
Ne faut-il pas discerner dans cette extrême prudence la volonté de ne pas choquer le choix des fidèles les plus pratiquants, qui sont aussi contributeurs financiers de l’institution catholique ? Au risque de décourager d’autres catholiques, souvent plus ouverts, qui sont aussi les plus engagés dans la mise en œuvre concrète du sacrement du frère ?