Par Jean-François Cullafroz, journaliste.
Le 100e Tour de France a démarré. La Grande boucle est reparti avec la mythologie qui l’entoure, faite de joies, de pleurs, d’espoirs déçus et de régionaux de l’étape vainqueurs sur leurs terres. Mais voilà, en quelques jours, le ciel s’est assombri sur l’épreuve.
Il y a eu les révélations sur le dopage d’Alberto Contador, les flèches décochées par Lance Armstrong dans le quotidien Le Monde de ce samedi 29 juin, et puis la semaine même du départ l’aveu de dopage, prononcé à demi-mots par Laurent Jalabert. Avec à la clé, son retrait de France Télévisions et de RTL, et l’attitude embarrassée de la direction du Tour et de France Télévisions. Sur le fond, ce qui est en cause, c’est une pratique sportive de plus en plus exigeante pour faire du spectacle et de l’audience, avec à la clé, des résultats financiers à atteindre. Et pour conséquence, les inévitables dérives du dopage pour pouvoir un niveau de plus en plus haut. Le docteur Thierry Lespine, médecin généraliste, précise les dangers engendrés par les produits dopants.
29 juin 2013. Il est midi et le départ de la 100e édition du Tour de France vient d’être donnée alors que la Patroullle de France déploie un panache tricolore dans le ciel corse.. « Le Tour sera à feu et à cent », titre Le Dauphiné libéré, quotidien rhonalpin. A cent bien sûr, un siècle après le 1er tour d’Henri Desgrange, on le comprend, mais aussi à feu, avec les aveux de dopage de la part de certains coureurs il y a quelques jours, et la publication attendue de la commission d’enquête sénatoriale dans trois semaines.
Des cyclistes remontés…
De tout cela, il a été question lors de l’entrevue que, peu de temps avant le départ à Porto-Vecchio, la ministre des Sports Valérie Fourneyron a accordé à cinq délégués des coureurs. « On voulait dire qu’on en a marre d’être montrés du doigt. Aujourd’hui, on est un sport comme les autres. Il n’y a pas plus de cas positifs qu’ailleurs« , déclarait à la sortie de l’entrevue le coureur Samuel Dumoulin, alors que le directeur du Tour accompagnait la ministre sur la ligne de départ.
Du côté de Christian Prudhomme, le directeur, l’exaspération était sensible.N’assurait-il pas hier vendredi 28 juin dans L’Equipe que la Grande Boucle était une cible idéale vu la caisse de résonance qu’il représente, Il rappelait que durant les quinze derniers tours, il y avait eu quatorze contrôles antidopage, et que lui-même en a vécu un chacune de ses dix années de direction de l’épreuve.
… Amaury et France Télévisions préoccupés par l’audience
Par ailleurs, il mettait en doute le travail des parlementaires et du gouvernement en des termes peu amènes : « La commission sénatoriale a été mise en place pour faire avancer la lutte antidopage dans le sport. J’espère qu’il s’agira d’un énième rapport qu’on oubliera sur l’étagère », confiant-il au quotidien sportif dont la direction est liée à la Société du Tour de France (Amaury sport organisation) par le biais du groupe Amaury qui a réalisé 680 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2012 selon Le Figaro. Des résultats auxquels a contribué le Tour de France, comme de nombreuses autres épreuves sportives organisées directement par ASO ou gérées par elle. On comprend donc que les responsables de l’épreuve ne souhaitent pas qu’elle soit l’objet de trop de vagues. Mais comment ne pas maîtriser ses craintes et se permettre en tant que responsable de l’épreuve de mettre en cause la mission de parlementaires élus par le peuple ?.
Car le Tour de France 2013 , ce sont 4 500 personnes réunies sur l’épreuve et 100 permanents d’A.S.O (Amaury Sport Organisation), 280 vacataires. C’est aussi 12 millions de spectateurs le long de la route du Tour et 3 milliards et demi de téléspectateurs. Et on comprend là aussi mieux la prudence de France Télévisions, partenaire principal de l’épreuve cycliste, à l’égard des coureurs suspectés de dopage ou ouvertement reconnus comme tel ou . Pour preuve, les déclarations amènes de Thierry Adam, commentateur de l’épreuve et du directeur des sports, Daniel Bilalian, à l’égard de leur ex-consultant, Laurent Jalabert, et de son contrôle positif à l’EPO en 1998. Dans la même veine, on peut s’étonner qu’un coureur comme Alberto Contador, qui a été sanctionné pour dopage, ait été accepté dans la course et soit même le porte-drapeau d’une équipe « Quand Contador revient sur une course, immédiatement le nombre de spectateurs et l’audience augmentent », expliquait un observateur espagnol dans L’Equipe. Ainsi, la messe est dite !
Une question d’exemple et de santé publique
Sans doute, le dopage n’est-il pas l’apanage du cyclisme ni du Tour de France ! Mais cette épreuve est exceptionnelle. Elle occupe les préoccupations des Français pendant trois semaines sans arrêt, avec ce que cela suppose d’enthousiasme mais aussi de déception lorsque le public apprend que des compétiteurs ont triché Les regrets se muent alors en indignation lorsqu’un coureur décède.
Car des questions sérieuses se posent. Face à l’ampleur des difficultés physiques que suscite le parcours de cette épreuve-phare du cyclisme, la prise de produits énergisants est-elle la seule solution ? Quel exemple le dopage des « forçats de la route », dont les efforts sont rappelés dans le récent film La Grande boucle, donne-t-il aux sportifs en herbe ? Si le football et d’autres disciplines sont-elles aussi le terrain du dopage, n’est-il pas proposé sous des formes diverses dès l’entrée dans une salle de musculation ?
Point de vue du docteur Thierry Lespine, un médecin généraliste de l’Ain, qui compte parmi ses patients un certain nombre de jeunes. Entretien.
Pour l’heure, la commission sénatoriale n’entend pas se laisser dicter sa conduite, a précisé ce samedi 29 juin le sénateur Lozach au micro de France Info. Les parlementaires rendront donc leur rapport le 18 juillet, le jour même de la montée de l’Alpe d’Huez et annoncent d’ores et déjà avoir en leur possession une liste de 44 échantillons positifs identifiés sur 60 analysés.
On attend de voir comment les médias concernés s’empareront de cette question centrale en matière d’éthique et de santé publique. On peut aussi espérer que la ministre des Sports, qui lors du départ du Tour, a écarté toute stigmatisation du cyclisme et de ses pratiquants, tirera dans son action publique toutes les conséquences des travaux du Sénat, en conformité avec les propos qu’elle a tenus lors de son audition au Palais du Luxembourg.
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