Par François Dalla-Riva, journaliste
Six questions à notre confrère lyonnais Gérard Clavairoly, qui a passé quelques jours à Athènes puis Eubée, en Grèce, où il a rencontré des journalistes grecs. Il revient sur la situation de la radio-télévision publique grecque ERT dont les émissions ont été coupées autoritairement le 11 juin dernier.
Quelle est, sur place, la réaction des journalistes ?
J’ai séjourné à Athènes d’abord puis surtout à une centaine de km au Nord, sur la presqu’île d’Eubée. J’y ai retrouvé des amis, notamment un ami journaliste avec qui j’ai fait mes études à Strasbourg, au Centre Universitaire d’Enseignement du Journalisme (C.U.E.J). La compagnie Aegean Airlines a ouvert début juin à un tarif très raisonnable une ligne directe Lyon Saint-Exupéry Athènes, pour la première fois, c’était l’occasion… Le hasard a voulu que j’atterrisse à Athènes le jour où le Premier ministre Samaras a annoncé la fermeture autoritaire de la radio-télé publique, début d’un long mouvement de protestation dans tout le pays.
La fermeture autoritaire de trois chaînes de télévision et des radios publiques de l’ERT a été ressentie très durement par les journalistes, et plus globalement par une bonne partie de la population. D’emblée, les protestations se sont multipliées, un peu partout, sous de multiples formes. Deux exemples : à Athènes même, tous les soirs après le 10 juin, après la fermeture des antennes, des manifestations ont eu lieu devant le siège de la TV publique, et de nombreux artistes, notamment des chanteurs et artistes de variété, sont spontanément venus chanter en public. Par ailleurs, la petite chaîne de télévision gérée par le Parti communiste a aussitôt proposé ses studios aux journalistes et animateurs du service public : dans les jours qui ont suivi, interviews, débats, témoignages ont occupé l’antenne, avec intervention des téléspectateurs par téléphone. Sur les thèmes du pluralisme des médias, de l’Europe, de la démocratie…
Et la population ?
La population a ressenti l’arrêt des émissions par le gouvernement Samaras comme un acte brutal, autoritaire. Bien sûr, c’est le Premier ministre qui est jugé responsable, mais la population pense aussi que l’Europe et le Fonds monétaire international ont un poids indéniable dans cette décision comme d’autres qui sont prises depuis deux ans. Pour eux, c’est une mesure « dictatoriale » de plus. La réaction du immédiate d’Angela Merkel, qui a chaleureusement approuvé Samaras, a été particulièrement mal vécue par les Grecs…
Comment est vécue la crise économique ?
Ce que subissent les Grecs depuis deux ans, bien peu de peuple l’accepteraient. Et d’ailleurs, ils ne l’acceptent pas. Qu’ils s’agisse des baisses de salaires, des traitements des fonctionnaires, des pensions (entre moins 25 et moins 30 %), ou des suppressions d’emplois. La situation est difficile, critique même. Les gens se débrouillent mais ils apparaissent abattus. Il n’est pas simple de vivre dans ce contexte là.
Ici, en France, nous connaissons aussi bien sûr a crise, le chômage, la pauvreté, mais nous avons un système de protection sociale qui tient globalement le coup, et il me semble que cela n’est en rien comparable avec ce que vivent les Grecs. D’autant qu’en Grèce l’État est depuis longtemps défaillant, faible, impuissant. Par ailleurs le pays est « invité » fortement à privatiser ce qu’il lui reste de richesses économiques…et le processus continue. Tout cela serait nettement plus acceptable si le Grec moyen avait l’impression que le « redressement » du pays se fait dans la justice sociale et que les plus riches contribuent à hauteur de leurs moyens. Or le sentiment général est que ce n’est pas le cas, loin de là, et que la corruption, l’évasion fiscale, notamment, persistent. Du coup, l’impression générale est que chacun se débrouille …
L’Église orthodoxe est une institution forte en Grèce, comment réagit-elle ?
Le salaire des popes est le seul salaire qui n’ait pas baissé. En France, les médias expliquent que l’Église orthodoxe est solidaire des plus démunis notamment en organisant des repas, dans les grandes villes. Beaucoup lui reprochent néanmoins de ne contribuer à l’organisation, mais pas au financement de cette solidarité. L’Église orthodoxe qui possède 20 à 40 % des richesses du pays n’est pas affectée par la crise qui malmène le pays. Beaucoup de Grecs – et évidemment d’abord ceux qui ne sont pas croyants – critiquent cette situation …
Que peut faire la population française ?
Aujourd’hui, la TV publique a recommencé à émettre après que le Conseil d’État a ordonné sa réouverture, même si le gouvernement Samaras a traîné des pieds, attendant plusieurs jours avant de faire appliquer le droit. Certes, plusieurs personnalités, syndicats de journalistes et élus français ont témoigné de leur colère et de leur solidarité, dès le lendemain de la fermeture des antennes publiques grecques. Mais il reste quand même plus que troublant de constater qu’un gouvernement de l’Union européenne peut fermer autoritairement son service public de radio et télédiffusion …sans que cela ne suscite dans toute l’Europe une levée de bouclier.